«Se décarcasser», avait dit Jean-Pierre Raffarin à ses ministres, les appelant à se mobiliser contre l’avalanche récente de plans sociaux. Le ministère des Transports, empêtré dans le dossier Air Lib, est passé aux travaux pratiques, alors que se tenait hier un comité d’entreprise sur le plan social des 3 200 salariés de la compagnie. «Se décarcasser», selon Gilles de Robien, ou comment bricoler avec bonne volonté des mesures dérogatoires, désordonnées, voire inapplicables.
Préretraites : l’exception Air France
Que faire des 3 200 Air Lib ? Le 8 février, le ministre des Transports convoque les entreprises publiques de transports : RATP, SNCF, ADP et Air France. Les trois premières, déjà sollicitées par le ministre précédent lors du dernier plan social d’Air Lib en 2001, ont fait la démonstration de leur peu d’utilité, avec seulement quelques dizaines d’embauches d’ex-Air Lib. Seule solution crédible : Air France. Mais la compagnie, en passe d’être privatisée, confrontée à une conjoncture morose, n’a pas l’intention de recruter pour le plaisir de sa tutelle. D’où un deal croustillant : le ministère des Transports décide de donner son feu vert à un plan de préretraite dans les tuyaux depuis cinq ans… histoire de faire de la place pour les salariés d’Air Lib. D’ici à avril 2004, un millier de salariés d’Air France, «âgés de 56 ans et plus», passeront à mi-temps avec 80 % de leur salaire. Le tout payé par l’Etat. «En échange, on embauche 500 salariés Air Lib», explique-t-on dans l’entreprise, dont 150 concernent des salariés Air Lib licenciés en 2001 et qui n’ont toujours pas été intégrés par Air France.
Cet accord, oeuvre du seul ministre des Transports, est passé inaperçu au ministère du Travail. «J’espère bien que c’est faux», s’est d’abord étranglé un membre de l’entourage de Fillon apprenant la manip’. Avant de se rendre à l’évidence. Depuis, le ministère de Fillon a été contraint de proroger la convention entre l’Etat et Air France, initiée en 1998 par Martine Aubry. Un véritable crève-coeur, tant ces préretraites prennent la doctrine gouvernementale à revers. A l’automne, François Fillon avait traité ce genre de dispositions de «catastrophe pour la France». Dans la difficile négociation sur les retraites, les départs avant 60 ans sont ressentis comme le principal obstacle à la volonté du gouvernement d’augmenter le taux d’emploi des 55-60 ans, sans lequel aucun allongement de la durée de cotisation n’est envisageable. Le Premier ministre, le 3 février devant le Conseil économique et social, fustigeait ce mal français : «On ne peut être à 55 ans un salarié âgé et usé et un jeune retraité actif et dynamique.» Sauf chez Air France.
Reclassement «exceptionnel»
Outre l’accès «préférentiel» aux entreprises publiques de Transports, les salariés d’Air Lib se sont vu confirmer hier, en comité d’entreprise, les mesures exceptionnelles mises en oeuvre par les pouvoirs publics pour leur reclassement. Le budget par salarié sera doublé, passant de 1 000 à 2 000 euros (soit plus de trois millions d’euros sortis de la poche du ministère des Transports) et la cellule de reclassement s’étalera sur douze mois au lieu de six habituellement.
Difficile de reprocher à Gilles de Robien d’avoir pris en compte la situation des salariés de la compagnie. N’empêche, ce geste du gouvernement pose une question : à partir de quand et sur quelle base un licencié mérite-t-il un coup de pouce des pouvoirs publics ? Le gouvernement ne peut même pas invoquer la crise du secteur aérien : 200 salariés de la petite compagnie Aeroplus L-Air, liquidée par le tribunal de commerce de Lyon le 26 décembre dernier, se trouvent, depuis, dans une situation comparable aux Air Lib. Sauf qu’ils n’auront ni accès privilégiés à Air France, ni aucune mesure exceptionnelle. Dans une lettre au ministre des Transports, ils demandent : «Pour quelle raison ce qui est accordé aux uns ne l’est pas aux autres?»
Marchandages
Peu après la liquidation, Gilles de Robien lance l’idée : les 47 000 créneaux horaires que possédait Air Lib à Orly pourraient être octroyés en échange de la reprise des salariés de la compagnie liquidée… Sauf que dans un communiqué, Cohor, l’association chargée de répartir lesdits créneaux, doit préciser sèchement : on pourrait lier créneaux et emplois uniquement si des entreprises se manifestaient pour reprendre des morceaux d’Air Lib… En revanche, dans le cas d’une liquidation totale, «les modalités fixées par le règlement communautaire ne permettent pas, dit-on à Cohor, de conditionner l’attribution de créneaux horaires à la reprise de personnel».
Hier, lors d’une conférence de presse (lire encadré), Ray Webster le directeur général d’EasyJet, a assuré que le fait de conditionner les créneaux aux emplois était «illégal». «L’échange salariés et créneaux, on doute que ça aille bien loin, craint Sylvie Faure, déléguée CGT. Plutôt que de bricoler des pansements sur une jambe de bois, on aurait préféré en amont une vraie réflexion sur le transport aérien, qui intègre les questions de l’emploi et de l’aménagement du territoire de façon cohérente.» L’amusant est que la soudaine exigence sociale de Robien contredit les objectifs initiaux de son secrétaire d’Etat, Dominique Bussereau. Quelques jours après son arrivée au secrétariat des Transports, Dominique Bussereau avait déploré le «protectionnisme» du gouvernement précédent contre EasyJet et les autres compagnies à bas coûts, appelant à plus d’«ouverture».
source: Libération.fr