Les représentants du personnel sont libres d’utiliser ce crédit d’heures quand bon leur semble et l’employeur n’a aucun droit de regard préalable sur l’usage qu’ils en font. Il ne peut ni s’y opposer ni juger de l’opportunité de l’absence (Cass. soc., 19 avril 1992). Tout au plus les conventions ou accords collectifs peuvent-ils instituer un délai de prévenance lorsque la nature du poste le justifie.
En revanche, pour permettre aux entreprises de comptabiliser les heures de mission, la jurisprudence les autorise à mettre en place des bordereaux, dits « bons de délégation », où sont indiquées l’heure où le salarié quitte son poste et celle où il le regagne.
Observer la consigne
Ce système fonctionne à merveille pour les emplois d’ouvriers en milieu industriel ou les employés dans la distribution, mais il est loin d’être adapté à toutes les organisations car il ne vise que le représentant du personnel qui se déplace physiquement.
Or, de plus en plus de salariés ont à leur disposition qui un téléphone, qui un ordinateur et sont donc en mesure d’avoir des activités extra-professionnelles sans quitter leur bureau.
Consciente de la difficulté, la société TI Group Automotive décide de trouver une solution consensuelle. La direction aborde la question en réunion du comité d’entreprise. Après avoir reconnu qu’il était indispensable pour les représentants du personnel de pouvoir se téléphoner, l’employeur fait remarquer qu’il n’y a aucune raison de ne pas déduire ce temps du crédit d’heures. Les membres du CE en conviennent et trouvent normal qu’il soit demandé d’utiliser un bon de délégation après chaque coup de téléphone passé dans le cadre du mandat. Forte de l’accord du CE, la direction diffuse une note à tous les représentants du personnel les informant de cette nouvelle procédure.
Néanmoins, il existe toujours des récalcitrants et l’un des représentants syndicaux au CE décide de ne pas observer la consigne. Il ne tarde pas à recevoir un avertissement dont il demande l’annulation devant le conseil de prud’hommes.
La cour d’appel le désapprouve : elle estime que la demande de l’employeur n’avait rien d’excessif, relève que le comité d’entreprise a donné son accord lors d’une séance à laquelle il était présent et considère par conséquent qu’il ne peut contester la note de service.
La pratique des bons
Mais la Cour de cassation est d’un tout autre avis. D’abord, elle prend connaissance de l’accord d’entreprise qui, chez TI Group Automotive, a institué les bons de délégation : celui-ci indique que l’usage des bons est destiné à faciliter la circulation des mandatés. Les juges se devaient d’interpréter cet accord à la lettre. Même avec l’aval du comité, l’employeur ne pouvait pas étendre l’utilisation des bons de délégation au-delà des prévisions de l’accord.
Si la Cour s’en était tenue à ce motif de non-respect de l’accord collectif, les entreprises tenaient une solution : il leur suffisait de négocier avec leurs organisations syndicales un accord prévoyant plusieurs hypothèses d’utilisations des bons, le déplacement, bien sûr, mais aussi le temps passé au téléphone ou sur Internet.
Malheureusement pour les employeurs, la Cour de cassation ne s’en tient pas là et ajoute que, même en dehors des prévisions de l’accord, la pratique des bons de délégation n’est admise que dans le but de prévenir le supérieur hiérarchique d’un déplacement (Cass. soc., 10 mai 2006, n° 05-40.802).
Sur ce point, elle est juridiquement inattaquable : les bons de délégation ne sont pas prévus par la loi et n’existent que parce qu’elle a bien voulu les valider. Si elle entend les restreindre aux cas où le salarié se déplace physiquement, il n’y a pas d’arguments de droit à lui opposer.
En revanche, rien n’interdit jamais d’invoquer le bon sens. Les bons de délégation ne conviennent pas pour comptabiliser le temps passé au téléphone ou sur Internet. Soit ! Mais il faudra bien trouver un moyen, sinon cela voudra dire que, parmi les représentants du personnel, ceux qui peuvent téléphoner à leur poste sont « plus égaux que les autres ».
source : les échos