Lenôtre a changé de périmètre. A Paris et en région parisienne, la filiale du groupe Accor est passée de 8 à 16 boutiques et de 1.000 à 1.330 salariés. Le processus de rachat d’un laboratoire et de 8 boutiques Fauchon s’est fait en moins d’un été. Show d’accueil, formation continue et visites du siège et de différents sites, les 330 ex-salariés de Fauchon ont intégré dès juillet l’univers de la maison Lenôtre. Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de cet ensemble d’acquisitions mais décrypter les étapes majeures de cette rapide absorption est d’ores et déjà possible.
« Il ne fallait surtout pas laisser de temps à la démobilisation », justifie Patrick Scicard, le président du directoire de Lenôtre. « Le 3 mars, je déjeunais avec Michel Ducros, le président de Fauchon. Nous tombions d’accord sur les cessions envisagées quinze jours plus tard [Fauchon choisissant de se concentrer sur ses sites historiques de la place de la Madeleine] et, le 1er juillet, je détenais les clefs », explique-t-il.
Entre-temps, Lenôtre a procédé aux « due diligences » de rigueur et annoncé le projet de rachat aux comités d’entreprise. Une période délicate, génératrice de multiples interrogations parmi les salariés. Comment Lenôtre va-t-il absorber ces nouvelles équipes et boutiques ? A quel coût ?
Parce que le mode d’intégration d’une entité nouvelle diffère selon que le rachat porte sur une marque, une équipe ou un parc immobilier, Cathy Kopp, directeur des ressources humaines du groupe Accor, a dépêché chez Lenôtre, jusqu’en fin d’année, son collaborateur Bernard Velay. Résultat : les 8 boutiques Fauchon rachetées ont fermé le 1er juillet pour rouvrir une à une à un intervalle de temps moyen de quatre jours. Fin juillet, 7 boutiques avaient rouvert. Seule l’enseigne de Boulogne a laissé passer le mois d’août avant de rouvrir en septembre.
« C’est le cas typique d’un mariage arrangé qui peut se transformer en mariage d’amour si l’acquéreur prend le temps d’écouter et de comprendre », estime Gilles Verrier, ancien directeur des ressources humaines dans différents groupes et directeur associé d’Identité RH.
Lenôtre n’a pas lésiné sur les contacts avec les nouveaux venus. Pour les rassurer, l’entreprise a, durant l’été, écrit trois lettres et organisé une convention d’accueil à leur attention. Le film « La vérité si je mens » de Thomas Gilou en boucle, des CD-ROM de présentation du groupe Accor, un cocktail et des cadeaux de bienvenue sont venus ponctuer un « show » dit à l’américaine.
« Il est capital de rassurer les équipes mais, une fois cela fait, on n’est pas au bout du chemin », prévient Gilles Verrier. Lenôtre et Fauchon ont beau oeuvrer dans le même univers de gastronomie de luxe, tout changement est nécessairement source d’inquiétude. D’autant que ces salariés ont été, ces dernières années, tout particulièrement déboussolés : nombre d’entre eux avaient en effet rejoint Fauchon en novembre 2002, après le rachat pour 50 millions d’euros de 12 boutiques du groupe Flo.
Un nouveau changement d’actionnaire, seulement trois ans après, leur fait encore perdre bien des repères : les magasins changent encore de physionomie et les salariés de méthodes de travail et de régime social. De quoi faire fuser les interrogations : seront-ils assujettis au régime des 35 heures ou bien resteront-ils aux 39 heures de travail hebdomadaire ? Bénéficieront-ils eux aussi de l’intéressement maison ? Et de la mutuelle ? « Nous nous sommes attachés à répondre à toutes les questions », affirme Patrick Scicard, qui a aussi veillé à rassurer les équipes Lenôtre déjà en place. Car la clarté des réponses est primordiale pour éviter les malentendus. D’autant qu’à l’heure où le secteur de la restauration souffre d’une pénurie de compétences (cuisiniers, pâtissiers, etc.), il fallait tout faire pour conserver les savoir-faire.
Une équipe dite « commando »
Lenôtre a mis en place un système de parrainage sous la forme de binômes de huit boutiques Fauchon-Lenôtre pour adapter les nouveaux salariés à ses méthodes. « Chaque occasion de mailler les équipes est bonne. Cela minimise les risques d’affrontements de culture d’entreprise », estime Gilles Verrier.
A leur réouverture aux couleurs Lenôtre, les ex-boutiques Fauchon ont accueilli une équipe dite « commando » chargée de les familiariser aux fiches techniques de Gaston Lenôtre, de leur apprendre le geste essentiel à la réussite d’un gâteau Opéra, Concerto ou bien de la prochaine bûche de Noël Lolita Lempicka. « L’équipe commando poursuivra son action jusqu’en fin d’année », insiste Patrick Scicard.
Une question de sémantique
Il a aussi fallu peaufiner les relations avec la clientèle. Le client Fauchon, fidèle à la marque, ne se gêne en effet pas pour semer le trouble dans les esprits : comment cela se passe-t-il avec Lenôtre ? N’était-ce pas mieux avant ? Je ne trouve pas tel produit, comment cela se fait-il ? Autant de questions déstabilisantes pour le salarié et catastrophiques pour l’entreprise si le message renvoyé par les collaborateurs est négatif. Si un employé de l’Ouest parisien laisse échapper une moue dubitative, sous-entendant qu’il demande encore à voir, dans deux des sept autres nouveaux magasins de l’Ouest et de l’Est de Paris, on répond, tout sourire, par un discours rodé. De toute évidence, Lenôtre a su armer ses équipes en arguments.
A coup sûr, le rachat des équipes opérationnelles et des emplacements de Fauchon a constitué une bonne affaire financière (d’aucuns évoquent un rachat portant seulement sur quelque 10 millions d’euros, montant non confirmé par Lenôtre ni par Fauchon). Périmètre élargi, force de vente renforcée et économies d’échelle, Patrick Scicard espère d’ores et déjà faire passer le chiffre d’affaires de 91,6 millions en 2004 à 115 millions d’euros cette année. Lui qui considère les 330 nouveaux arrivants comme « motivés pour se battre aux couleurs Lenôtre » veille à la bonne formation des directeurs de magasin. Un ancien de Fauchon devrait bientôt prendre la direction du magasin Lenôtre de Neuilly. « D’autres exemples suivront. Très vite, on ne saura plus qui vient de Fauchon et qui a toujours été Lenôtre », anticipe Patrick Scicard. Car il ne saurait y avoir d’engagement durable de la base si l’encadrement moyen ne sait pas fournir des preuves de cohérence et d’adhésion aux salariés qui se tournent vers lui.
Il y a quelques jours, devant un parterre de directeurs de ressources humaines réunis à Paris, lors du congrès RH, Didier Pitelet, PDG du cabinet Guillaume Tell, estimait qu’il fallait aller encore plus loin. « Un discours purement économique ne suffit pas à générer l’engagement d’une équipe. Quel sens a la rapidité d’un processus si les troupes ne comprennent pas le sens d’une action ? Une convention de bienvenue ne sert à rien si on ne vérifie pas la capacité des salariés à réceptionner un message. »
Autrement dit, selon le consultant, tout serait question de sémantique et seule l’obtention d’un retour du terrain parachèverait l’impulsion nécessaire à la création d’un élan effectif. Le succès de l’intégration d’une équipe est donc bien davantage question de méthode que de taille d’entreprise.