Ce 4 août, date anniversaire de l’abolition des privilèges, est utilisé cette année pour les rétablir. Le gouvernement Galouzeau de Villepin vient donc d’instaurer son prétendu plan d’urgence pour l’emploi. Il a agi par ordonnance, oubliant qu’il aurait pu le faire depuis trois ans, fidèle en cela à l’esprit monarchique autoritaire et unilatéral de la Ve République, cette République détestable, où un Premier ministre ignore jusqu’à l’existence du suffrage universel, piétine et méprise organisations syndicales, députés de l’opposition ou de la majorité et même quelques sénateurs avec qui il devrait s’obliger à discuter.
Le Premier ministre s’est répandu dans la presse pour vanter les mérites de son «contrat nouvelles embauches» (CNE), en insistant sur le fait que ce contrat était gagnant pour l’employeur comme pour le salarié : l’employeur y gagnerait une plus grande liberté de gestion de sa main d’oeuvre et le salarié y gagnerait un contrat plus stable (ce n’est pas un contrat à durée déterminée) et l’assurance d’être mieux pris en charge s’il vient à perdre son emploi. Ces propos doivent être ramenés à ce qu’ils sont : une vulgaire opération de communication, qui vise à masquer une pure et simple escroquerie, dans laquelle tout est donné à l’employeur au détriment du salarié.
Regardons en effet de plus près les termes de ce nouveau contrat et comparons-le avec le contrat à durée déterminée (CDD) actuel.
1. Auparavant, pour un salarié embauché en CDD, le terme du contrat était certes connu à l’avance, mais en contrepartie les salaires étaient évidemment dus jusqu’à ce terme : un employeur embauchant un salarié pour un CDD de 6 mois lui paie 6 mois de salaires, même s’il décide de se séparer de lui au bout du quatrième mois.
Désormais, le même employeur, en passant par un CNE, pourra se séparer de son salarié quand bon lui semble durant les deux premières années, avec une simple période, courte, de préavis (quinze jours si le salarié a entre 1 et 6 mois d’ancienneté, 1 mois si le salarié a entre 6 mois et 2 ans d’ancienneté).
2. Auparavant, pour un salarié embauché en CDD, en cas de séparation au terme du contrat, l’employeur versait une prime de précarité au salarié égale à 10 % des salaires bruts versés. Point important : cette prime de précarité était socialement imposable, ce qui signifie que l’employeur payait les cotisations sociales patronales correspondantes, portant le coût total de séparation non pas à 10 %, mais à environ 15 % des salaires versés.
Désormais, le même employeur, en passant par un CNE, versera une prime de licenciement à son salarié, égale à 8 % des salaires bruts versés, et une contribution au service public de l’emploi (ANPE et Unedic), égale à 2 % des salaires bruts versés. Cependant, cette prime de licenciement ne donne cette fois pas lieu à versement de cotisations sociales. En conséquence, le coût de licenciement pour l’employeur diminue très sensiblement, magnifique cadeau supplémentaire aux patrons fait au détriment des finances de la Sécurité sociale, qui comme chacun sait se portent à merveille !
3. Aujourd’hui, la plupart des travailleurs précaires, parce qu’ils enchaînent des contrats de travail très courts de façon discontinue, n’ont pas accès aux allocations chômage : seulement une personne sans emploi sur deux est indemnisée par l’Unedic.
Avec le CNE, monsieur Galouzeau de Villepin clame urbi et orbi que le salarié sera gagnant, car il sera mieux indemnisé en cas de perte d’emploi. Cette indemnisation complémentaire, que le gouvernement vient d’arrêter par décret, est la suivante. Si le salarié est licencié durant les 4 premiers mois, il n’a droit à rien. Si le salarié est licencié après 6 mois, il n’a droit à rien de plus, car il est éligible aux indemnités Unedic. Si le salarié est licencié avec 4 à 6 mois d’ancienneté, l’indemnité est forfaitaire (indépendante du niveau de salaire), de… 492 pendant un seul et unique mois ! Cette somme, dérisoire, est à peine supérieure au RMI versé à une personne isolée (425 par mois) ; elle est nettement inférieure au RMI versé à une personne vivant en couple ou ayant un enfant.
Résumons-nous : avec le CNE, dont la date d’entrée en vigueur a malencontreusement été fixée un 4 août, le gouvernement Galouzeau de Villepin octroie aux entreprises de moins de 20 salariés c’est-à-dire 96 % de l’économie française le privilège de licencier comme et quand bon leur semble durant les deux premières années d’embauche, pour un coût de licenciement sensiblement inférieur au coût de séparation d’un CDD, ce au détriment des finances de la Sécurité sociale. En échange de quoi, le salarié licencié reçoit, selon les cas, soit aucune assurance chômage supplémentaire, soit une assurance chômage d’un mois seulement, pour un montant forfaitaire proche de celui du RMI. Le CNE : un contrat encore plus précaire que le CDD ! Il est utile de rappeler que toutes les entreprises de dérégulation du droit du travail, engagées par tous les gouvernements de droite, sans exception, ont démontré qu’elles ne créaient aucun emploi et qu’il s’agissait en vérité de convaincre la population des salariés de faire son prétendu bien en portant atteinte à ses intérêts directs. Là est le ressort profond de l’escroquerie gouvernementale.
La France fait partie des pays européens ayant le record de la précarité au travail sans avoir jamais pu obtenir les contreparties en termes soit de revenu, soit de protection du parcours des salariés. On comprend pourquoi la France est dans un état de souffrance sociale avancée. Seul le gouvernement Jospin, par des mesures volontaristes (emplois-jeunes, réduction du temps de travail) s’était attaqué à la falaise du chômage de masse depuis vingt-cinq ans, en parvenant à faire reculer le chômage pour la première fois de façon significative, de plus de 12 % à moins de 9 % de la population active. Le gouvernement Raffarin a cassé cette dynamique positive, le faisant repasser au-dessus de la barre des 10 %. Avec le CNE, le gouvernement Galouzeau de Villepin entreprend aujourd’hui de renforcer la précarité professionnelle d’un tiers des salariés du secteur privé (ceux qui sont employés dans les petites entreprises) et ne manquera pas demain d’étendre son action à l’ensemble des salariés en ouvrant le CNE aux moyennes et grandes entreprises, comme le réclame dès à présent le Medef.
A cette politique de la droite, totalement idéologique, aveugle et néfaste, les socialistes une fois revenus au pouvoir devront opposer une démarche volontariste et innovante. La solution ne peut qu’employer la voie de la négociation et de la discussion politique collective, fixant les règles minimales d’un ordre public social où chacun trouvera son compte, et le salarié précaire d’abord le sien. Elle consiste à faire en sorte que l’employeur se voie responsabilisé dans ses décisions et qu’il prenne en charge une partie des conséquences des choix qu’il inflige à la collectivité : un licenciement est un acte certes parfois nécessaire, mais grave, dont le coût légal doit être, non pas amoindri, mais renchéri, sous la forme d’un dédommagement du salarié, mais aussi d’une contribution spécifique versée à la collectivité pour qu’elle puisse prendre en charge l’indemnité chômage, la formation et le reclassement du travailleur licencié. Oui, il est temps d’instaurer en France une véritable sécurité sociale professionnelle. Les socialistes devront enfin s’y atteler sérieusement.