Match d'honneur pour Metaleurop

15 h 30. Parking de l’usine, à Noyelles-Godault. Ils sont nerveux, rient un peu fort. Dans leurs survêtements gris, les salariés de Metaleurop s’apprêtent à prendre la route du stade Bollaert. Un tiers des employés de l’ancienne fonderie de plomb est abonné au stade. «Si on a notre chance ? De passer le milieu de terrain, oui !» Nasser voudrait juste «marquer un but, pour l’honneur».

17 h 45. Bollaert, bureau du président. Président du club de Lens et du syndicat des patrons de club (UCPF), Gervais Martel n’en est pas à une contradiction près. Voilà un homme qui s’était illustré en bataillant contre l’ex-ministre communiste Marie-George Buffet, pour des réformes ultralibérales dans le foot. Mais c’est aussi celui qui a pris l’initiative de ce match. «Toute ma jeunesse, j’ai connu cette usine. Quand j’ai su que ça s’arrêtait, ça m’a mis un coup. C’est pas parce qu’on est libéral qu’on n’a pas de coeur.» Martel, qui a développé son club en s’appuyant sur la culture ouvrière de la région, l’assure : «Le foot, à Lens, n’aurait pas réussi sa percée sans le monde du travail. Et ce match, c’est un moment de reconnaissance du monde du travail…» A l’origine, l’adversaire devait être le voisin lillois. Mais les excellentes relations entre Martel et Jean-Michel Aulas, patron de l’Olympique Lyonnais et fervent supporter de l’introduction des clubs en Bourse, ont abouti à cette affiche.

18 h 00. Stade Bollaert, sur la pelouse. Farid Ramou, le leader de l’intersyndicale, porte le numéro 9, ovation à l’applaudimètre. Dans le kop sang et or (la tribune des supporters fidèles), «qui ne chante pas n’est pas Lensois». Sur les gradins, clairsemés, les femmes de Metaleurop : «Allez les métallos !» Mais les ouvriers s’emmêlent les pieds. Ouverture du score de Roger Boli, pour les Lensois, du plat du pied à la sixième minute. Les buts s’enchaînent. Un spectateur lâche son patois : «Si cha continue, j’enlève min pantalon, et j’y vais, mi !» Et marmonne : «J’ai l’impression que les Sang et Or, ils sont plus nombreux que les blancs…» Le 11, Jonathan, réussit une échappée. Martine, déchaînée : «Donne-le aux métallos, le ballon !» Une autre rigole : «Z’êtes pas gentils, hein, y sont d’jà peinés ces gins-là ! Y z’ont plus d’boulot, donnez-leur le ballon !» Farid Ramou crache ses poumons : «Je m’attendais à pire.» Soudain le jeune métallo bondit. Sébastien Denis vient de marquer pour les métallos. 6-1 pour Lens.

18 h 30. Stade Bollaert, dans les couloirs. Echarpe des Sang et Or autour du coup, Cédric, 25 ans dont dix comme supporter, l’affirme : «Je ne viens pas pour Lens, je viens pour les salariés de Metaleurop.» Ils sont 34 800 spectateurs, chiffre énorme pour un match amical. Les dirigeants lensois espéraient reverser une recette de 150 000 euros aux salariés licenciés. Les collectivités, les entreprises partenaires et les médias régionaux ont tous mis la main à la poche. Jusqu’au patron des célèbres baraques à frites qui jouxtent le stade. «Ça a été l’union sacrée, explique Serge Doré, directeur général du club. Il s’agit de renvoyer l’ascenseur : sur 27 000 abonnés, 70 % proviennent des comités d’entreprises de la région…» Tous les licenciés de Metaleurop ont été «symboliquement» placés, avec femmes et enfants, au sein du kop sang et or.

19 h 30. Stade Bollaert. En prélude du match Lens-Lyon, la sono diffuse les Corons, de Pierre Bachelet. La plupart des salariés de Metaleurop, comme les supporters sang et or, sont fils de mineurs, et le stade chante avec eux. Claude, 40 ans de Metaleurop où il a commencé à travailler à 14 ans, donne le coup d’envoi du match Lens-Lyon. Douze enfants d’ouvriers ont été choisis pour ramasser les balles en touche. Dany Boon, le comique, originaire d’Armentières, marque un faux but pour Lens. Au pied du kop, une banderole, sur fond de dessins de capitalistes ventrus : «C’est pas les usines qu’il faut fermer, c’est vos panses qu’il faut dégraisser.» Dans les coulisses du stade, André Delelis, l’ancien sénateur-maire socialiste de Lens, fulmine : «Avant, dans cette région, on avait des dirigeants paternalistes, mais qui créaient des stades, des maternités, des hôpitaux… Et là, ces salopards ont sacrifié Metaleurop. Ce sont des délinquants. Et les délinquants, on les arrête.» Un peu plus loin, il y a l’ancien joueur lensois Jean-Marc Adjovi-Boco, assailli par une nuée de gamins, qui raconte : «On a vu la joie sur le visage des salariés, la joie de jouer sur cette pelouse mythique de Bollaert, contre ceux qu’ils ont adorés. Même si ce n’était qu’une heure et demie de bonheur. Et que, passé le match, ils retrouveront leurs difficultés.» Score final : 2-1 pour Lens.

source : Libeartion.fr

Auteur de l’article : comitedentreprise.com