L’enquête en cours déterminera les causes exactes de l’accident. Le jour-même, Jean-Paul Delevoye, élu du Pas-de-Calais et ministre de la Fonction publique, déplore « un coup du destin ». Mais pour les organisations syndicales, nombreuses à réagir quelques heures après le drame, les leçons d’AZF ne sont toujours pas tirées. « Une fois de plus, une nouvelle catastrophe industrielle vient relancer la question des risques encourus chaque jour par des milliers de salariés », dénonce la CFDT dans un communiqué. L’Uri Nord-Pas-de-Calais une région qui dénombre 2 000 installations classées, dont 45 sites Seveso 2 seuil haut et 33 Seveso 2 seuil bas s’associe à la douleur des familles des victimes et interpelle la direction de l’entreprise et les pouvoirs publics. Confédération, fédération Chimie-Énergie et structure interprofessionnelle parlent d’une seule voix et réaffirment la même urgence : une véritable prise en compte des préconisations syndicales dans la prévention des risques industriels : « Il est urgent que les décideurs comprennent qu’en matière de sécurité et de conditions de travail, les organisations syndicales ont une expertise insuffisamment entendue et reconnue. »
Loi peau de chagrin. Que dire en effet de ce qu’il reste du chapitre dévolu aux représentants des salariés dans le projet de loi Bachelot, largement remanié par le Sénat et l’Assemblée ? La première version créait les CHSCT de site. Quelques séances parlementaires plus tard, leur existence est renvoyée à la négociation. Dans une lettre adressée à Roselyne Bachelot et François Fillon, la CFDT rappelle que la création de cette instance, améliorant la représentation des personnels, doit relever de la loi et non de la négociation de branche. Sur le fond, ces négociations sont « impraticables » puisque les entreprises concernées (donneuses d’ordres, fournisseurs, sous-traitants, maintenance, etc.) appartiennent à différentes branches professionnelles. L’autre attente forte de la CFDT porte sur l’étendue du champ de la loi aux 35 000 installations classées à risques et non pas aux seuls 650 sites classés Seveso 2 seuil haut . Une demande restée sans réponse.
Dialogue incongru. Plus inquiétant, le législateur n’est pas seul à ne reconnaître que du bout des lèvres l’importance d’un rôle accru des CHSCT. « La prise en compte des risques est l’un des principaux points du dialogue social dans les sites à risques, explique Adria Houbairi, responsable de la branche Chimie à la FCE, mais tous les patrons ou presque traînent les pieds pour négocier l’accord sécurité du 10 juillet 2002, signé après la catastrophe d’AZF. » Autre exemple, la collaboration avec les CHSCT reste une incongruité dans l’esprit de nombre d’inspecteurs des Drire (directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement). Interrogé sur l’intérêt de la démarche, le porte-parole de la Drire Nord-Pas-de-Calais répond : « Pour l’instant, la loi ne nous demande pas de travailler avec ces instances. Alors, attendons. » Et l’intérêt de consulter le précieux document unique sur l’évaluation des risques professionnels dans l’entreprise, obligatoire depuis le décret du 5 novembre 2001 ? Il ne le connaît pas et, renseignement pris, répond : « Mais cela dépend de l’inspection du travail, n’est-ce pas ? » C’est bien la preuve, comme le souligne Charles Fiterman dans son rapport au CES, qu’un changement d’état d’esprit est urgent. Pour que tous travaillent ensemble sur la prévention des risques et que la capacité d’expertise du monde salarié soit enfin reconnue. La loi Bachelot devrait être adoptée en mai prochain. Souhaitons qu’en dernière lecture, le drame de Billy-Bercleau n’ait pas, encore une fois, tué pour rien.n
À savoir : début difficile pour les Comités locaux d’information
Depuis le drame d’AZF, nombre de syndicats de la CFDT concernés par les risques industriels ont pris conscience d’une culture du risque déficiente dans leurs propres rangs. Ils ont mobilisé leurs équipes, mis au point des formations spécifiques. C’est le cas du Scerao (Syndicat Chimie-Énergie Rhône-Alpes-Ouest). Aujourd’hui, son secrétaire, Philippe Pesteil, est plutôt colère contre la loi Bachelot : « Pour les CHSCT de site, tout est renvoyé aux négociations de branche ! Quant aux Clirt (Comités locaux d’information sur les risques technologiques), prévus par la loi, il s’en est justement tenu un récemment à titre expérimental près d’un site Seveso 2 seuil haut , où nous épaulons depuis un an une jeune section syndicale. Lors de ce Clirt, le préfet n’a pas laissé le débat s’engager, seul le patron a pu parler de son entreprise. Le préfet n’a cessé de couper la parole aux syndicats et aux associations. Cet exemple augure mal du dialogue autour des risques, censé s’instaurer de manière transparente afin d’informer et de prévenir l’ensemble des populations, salariés compris. »
source : CFDT