Le comité d’entreprise (CE), qui n’existe que dans les sociétés de plus de cinquante salariés, dispose de droits importants. Il est obligatoirement informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche de l’entreprise, notamment sur les mesures pouvant affecter l’emploi. Il émet un avis sur les projets de restructurations. Il peut aussi se faire assister d’un expert-comptable, dont le pouvoir d’investigation est identique à celui d’un commissaire aux comptes. Et, dans les conseils d’administration où ils sont présents, les représentants du personnel disposent des mêmes documents que les autres membres. Bref, la masse d’informations accessible aux représentants du personnel est importante. Le problème, c’est que, « même si le CE dispose des comptes de l’entreprise et donne son avis, il ne participe pas aux décisions. Son pouvoir n’est que consultatif », regrette Christian Larose, secrétaire général de la fédération CGT du textile, qui propose de donner au CE un droit de veto sur certaines décisions, comme les délocalisations. Veto que seul le juge pourrait lever.
En fait, le CE n’a pour l’heure qu’un « pouvoir de nuisance », observe Frédéric Bruggeman, consultant à Syndex, cabinet d’expertise auprès des CE. « Tant qu’il n’a pas été valablement consulté et qu’il n’a pas donné d’avis favorable ou défavorable , l’entreprise ne peut agir. »
Un autre outil pourrait permettre aux représentants du personnel d’intervenir en amont, ce sont les documents prévisionnels annuels ou pluriannuels des entreprises, qui doivent leur être communiqués. Or, d’une part, ces comptes ne concernent que les entreprises d’une certaine taille. D’autre part, lorsque ces prévisions portent sur plusieurs années, en général trois, les entreprises « refusent de les donner et disent qu’elles n’existent pas, constate Frédéric Bruggeman. En fait, les entreprises disposent d’un arsenal impressionnant pour anticiper, mais elles ne le partagent pas. »
Rares sont les acteurs qui jugent souhaitable de donner aux CE un pouvoir de cogestion. « Participer à la construction d’une stratégie, c’est beaucoup plus complexe que de négocier un accord sur les 35 heures, observe Sylvain Breuzard, président du Centre des jeunes dirigeants (CJD). Cela demande énormément de connaissances et je ne suis pas sûr que les représentants du personnel les aient. »
Directeur général du cabinet Idee consultants, Gilles Karpman, quant à lui, est encore moins ouvert sur cette question, d’autant qu’il « ne croit pas à l’anticipation. Même cogérée, une entreprise ne peut pas inventer une vision de l’avenir, car elle doit s’adapter à des changements qui se produisent à des vitesses sidérantes ». Pour lui, mieux vaut que chacun conserve ses responsabilités actuelles : aux employeurs les décisions et les mauvaises nouvelles ; aux représentants du personnel la défense exigeante de l’intérêt des salariés. Cela évite, en outre, les positions délicates, où le syndicat passe « de la recherche d’un compromis à la compromission ».
Frédéric Bruggeman est un peu sur la même ligne, mais suggère des ouvertures : en matière de formation, par exemple, le CE n’a, là aussi, qu’un rôle consultatif. Ne pourrait-on pas prévoir « une quote-part du budget confiée au CE qui l’affecterait aux postes ou aux catégories fragiles face à des risques futurs que le CE a détectés » ?
Mais il pense aussi qu’il faut « réfléchir l’anticipation dans un cadre plus large que l’entreprise, puisqu’on ne peut pas éviter tous les licenciements. Pourquoi les structures de développement de bassins d’emploi n’incluent-elles pas des syndicats ? »
[color=333333]ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 11.03.03 du journal ‘Le Monde’
auteur : Francine Aizicovici
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