A l’hôpital Fernand-Widal, à Paris, il soigne des personnes malades de l’alcool. Il a participé comme expert à l’étude publiée la semaine dernière par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) sur l’alcool et ses dommages sociaux (1).
Selon l’Association nationale de prévention de l’alcoolisme, l’alcool serait responsable de 10 à 20 % des accidents du travail.
« Au moins… »
La loi interdit les alcools durs dans l’entreprise, mais ni le vin ni la bière…
« Les textes sont ambigus et datent du siècle dernier. Mais, même dans cet état poussiéreux, ils ne sont pas appliqués ! Un patron ne doit pas laisser introduire d’alcool dans les locaux, mais les pots avec whisky et autres alcools sont coutumiers. Pour l’instant, quand quelqu’un se fracasse sur la route à la sortie de l’un de ces pots organisés à l’intérieur de l’entreprise, les familles ne portent pas plainte parce qu’elles ont honte. Mais si les idées s’ouvrent un peu sur la question, elles vont se mettre à le faire. »
Les mentalités évoluent-elles ?
« Le renversement de tendance est en route. Le rôle des comités d’entreprise est très important parce que c’est en général eux qui tiennent le bar ou le restaurant. Entre le tout-permis et le tout-interdit, il faut qu’il y ait une règle du jeu et que les CE la fassent respecter, sinon cela veut dire qu’ils sont complices des dérives dans l’entreprise. »
Que penser de la présence d’un bar au sein même de l’entreprise ?
« C’est de l’incitation à consommer, même si ça reste licite par rapport au code du travail. Il ne faut pas s’étonner alors que les gens s’alcoolisent plus facilement. »
Mais si le personnel traverse la rue pour aller au café du coin, cela fait-il une grosse différence ?
« Dans notre pays, l’alcoolisation est légale et tolérée. Chacun peut faire ce qu’il veut. Mais le chef d’entreprise peut refuser qu’une personne en état d’ébriété pénètre dans les locaux. »
Mais quels sont ses moyens d’action ? Il ne peut pas faire procéder par la police à un contrôle d’alcoolémie à l’intérieur de l’entreprise, tout de même ?
« Si vous arrivez le matin au boulot et que vous n’avez pas l’air bien, il y aura des collègues, un chef d’équipe qui va s’inquiéter, vous poser des questions. Si le trouble est inquiétant, on appellera l’infirmière, les pompiers, voire le SAMU. Le problème, c’est que si on croit, ou même si on voit, que vous vous êtes alcoolisé, on ne fera rien ! Il y a un tabou autour de l’alcool. Je demande qu’on ait une position citoyenne et qu’on applique la même règle du jeu que s’il s’agissait d’un malaise cardiaque. Il faut parler de « trouble du comportement » et raccompagner la personne à son domicile. »
Cela ne règle le problème que pour une journée…
« C’est utile de le faire quand même. C’est poser un acte qui signifie qu’il n’est pas question que cette personne ne soit pas médicalisée. »
Comment procéder, dans une entreprise où il y a des problèmes d’alcoolisation ?
« Il faut informer d’abord collectivement le personnel. C’est une démarche de prévention. Ensuite, il faut aller vers l’individu. Ça se passe avec le médecin du travail, qui est tenu au secret médical. Là, on sera dans une démarche curative. Il faut faire intervenir des gens de l’extérieur, former un groupe relais. Il faut qu’il y ait consensus entre les ressources humaines, le médecin du travail, les services sociaux, les syndicats. Il faut essayer de faire en sorte que le comité d’hygiène et de sécurité et le comité d’entreprise soient totalement impliqués et qu’ils aient des référents sur l’alcool. Il ne faut pas cibler une population, les cadres ou les ouvriers, les hommes ou les femmes, car tout le monde est touché, la hiérarchie aussi. D’ailleurs, la seule différence qu’il y a souvent entre les cadres et les employés, c’est que les premiers ont un frigo dans leur bureau. »
Certaines entreprises établissent des chartes…
« Oui, la SNCF l’a fait par exemple. Au CHU de Bordeaux, on a élaboré une « charte alcool » sur la prévention du risque à l’intérieur de l’hôpital. La charte précise la conduite à tenir dans les différentes situations où un agent a un problème lié à une consommation d’alcool. C’est précieux, parce que les collègues, la hiérarchie, souffrent aussi. Face à la personne qui soigne sa souffrance psychique par l’alcool, les camarades, la hiérarchie, sont embarrassés, ne comprennent pas, sortent de leur rôle en se « parentalisant », ne sont souvent pas soutenus par le médecin du travail. S’il y a une règle du jeu, ça rend les choses plus faciles. On peut se renseigner sur ces chartes en s’adressant à l’ANPA, à l’IREMA ou, dans votre région, à l’AREAT, à Amiens (1). »
L’alcoolisme est-il une maladie professionnelle ?
« L’alcoolisation chronique est une maladie professionnelle. Si on remonte une ou deux générations au-dessus, la charge physique du travail dans la chaleur, la poussière, etc., était très importante. Boire six ou sept litres de vin ou de bière par jour était juste considéré comme de l’hydratation. La nature du travail a changé, il y a des machines pour faire les tâches les plus pénibles. Mais la charge mentale est très élevée. Il faut être le meilleur, chacun est placé dans une situation d’excellence. On ne boit plus pour s’hydrater, on se suralcoolise pour déstresser. »
Peut-on en accuser l’entreprise ?
« Non. Mais il faut qu’elle ait à l’esprit la notion de qualité de vie. Trop souvent, l’entreprise objecte que « s’il n’y a plus de pot, il n’y a plus de lien ». En d’autres mots, « laissez-nous vous alcooliser tranquille » ! Bien sûr, les DRH, les CE, nient avoir cette attitude. Pour organiser et favoriser la communication, il y a d’autres moyens que les pots et le bar. »
Propos recueillis par J. J.
(1) Lire « Pour en savoir plus ».
L’alcool est responsable
de 10 à 20 % des accidents
du travail.
La loi interdit qu’on introduise dans l’entreprise des alcools durs,
mais ferme les yeux
sur le vin et la bière.
Les pots dans les services sont innombrables.
Après deux verres,
on flirte avec le 0,5 g d’alcool dans le sang.
Certaines entreprises réagissent et établissent des « chartes alcool »
pour prévenir et préciser la conduite à tenir en cas de problème.
source : www.lavoixdunord.fr