Cri d’espoir ? De désespoir, plutôt. Car personne n’est dupe, ni les salariés ni les syndicats : « Il faut arrêter de faire rêver les gens en leur promettant un bon plan social, tonne Jacques Tord, conseiller à la CGT. Il n’y a pas de bon ou de mauvais plan social. Il y a un plan social, et il a montré ses limites. » L’expérience vécue par d’autres licenciés, ceux de Moulinex ou de Bata, l’a bien montré : malgré le renforcement des mesures de reclassement imposées en 2002 par le gouvernement, les plans de sauvegarde recréent rarement l’emploi. D’après le rapport établi récemment par Claude Viet, M. Plan social du gouvernement, il faut un an en moyenne pour reclasser seulement 50 % des salariés. Pas très brillant, voire inquiétant quand, récession oblige, le taux de chômage augmente.
En apparence, tout est fait pourtant pour que le plan fonctionne : les entreprises doivent prendre le temps de négocier avec les représentants salariés et inclure, dans leur projet reclassements, formation, voire aides à la création d’entreprise. Si l’on en croit les cabinets conseils spécialisés, la formule peut très bien fonctionner. BPI, l’un des plus actifs sur ce marché, se targue de réussir à reclasser 87 % en moyenne des salariés licenciés, que ce soit sous la forme de CDI ou de CDD ! « Avec un soutien psychologique, un suivi individuel des salariés et un gros travail pour détecter les emplois cachés dans la région, on peut obtenir de très bons résultats », assure Dominique Fourier-Ruelle, directeur associé chez BPI. Certes. Mais justement, chez Moulinex, entreprise où BPI a travaillé, 57 % seulement des 3 000 salariés ont retrouvé un emploi « pérenne »…
L’emploi ne se décrète pas. Il faut des entreprises qui embauchent, et des salariés adaptés à leurs besoins. Or les licenciements collectifs touchent surtout des entreprises industrielles implantées dans des bassins d’emploi sinistrés. Dans le Pas-de-Calais, où se trouve l’usine Metaleurop de Noyelles-Godault, le taux de chômage dépasse de deux points et demi la moyenne nationale. Pis, la population touchée est souvent peu flexible. Or il est difficile de retrouver un poste quand on a accompli pendant des dizaines d’années des tâches répétitives, sans formation complémentaire. Au bout d’un an, d’après la CFDT, parmi les 450 personnes à reclasser chez Bata, seules 150 ont trouvé un emploi. Mais les syndicats continuent à exiger… l’impossible. C’est-à-dire, outre des gros chèques, des obligations de résultats. Et la tendance est à l’inflation. « C’est la réaction des gens quand il n’y a plus rien d’autre à espérer », déclare Jacques Tord, de la CGT. Mais à demander l’impossible, on finit par récolter du vide. Ainsi du nombre d’offres d’emploi obligatoires. « Désormais, les syndicats imposent que le plan social en comporte deux ou trois par salarié, témoigne, désabusé, Jean-Marie Morenne, directeur du pôle redéploiement au cabinet DBM. Mais ils exigent aussi que celles-ci se situent dans la région proche, qu’elles soient de nature équivalente au poste antérieur et qu’elles offrent un salaire égal ou inférieur au maximum de 15 % ! » Résultat ? « On avait obtenu que chacun bénéficie de trois offres d’emploi. On en est très loin, s’étrangle Marie-Gisèle Chevalier, déléguée syndicale CFDT de Moulinex. Les rares postes qu’on nous propose sont des boulots d’aide-ménagère ou d’auxiliaire de vie, souvent à temps partiel. Quelle déception ! » Mais quand le bassin d’emploi est naufragé, que faire ? Et les salariés ne sont-ils pas enclins à rester passifs, s’ils sont trop assistés ? « Les futurs licenciés se trouvent dans une situation de consommateur, accuse Jean-Marie Morenne. On leur a promis plusieurs offres d’emploi, donc ils attendent. »
Plus pervers encore, le chèque-valise, cette compensation facultative qui s’ajoute à l’indemnité légale de licenciement. Ce chèque est devenu, pour les syndicats, un casus belli. « Quitte à partir, autant partir avec le plus possible pour se donner les moyens de voir venir », se défend Daniel Gouttefarde, secrétaire CGT de la fédération de la métallurgie. Mais en jouant la carte de l’indemnité, le salarié ne se donne pas toujours les outils pour construire son avenir. « Au départ, il veut que son préjudice soit indemnisé. Mais, à plus long terme, vouloir gonfler le montant du chèque n’est pas le meilleur service à lui rendre », reconnaît Bernard Hentzgen, secrétaire général de la CFDT pour la Lorraine.
D’abord parce que plus le montant total des indemnités est élevé, plus le budget consacré à la partie « reclassement » est réduit. C’est donc, à long terme, toute la stratégie de réemploi qui est menacée. Souvent rondelet (10 500 euros en moyenne chez Bata, 45 000 chez Marks & Spencer), le chèque fait tourner les têtes. Quand le salarié a le choix entre le chèque et une aide au reclassement, il peut être tenté de choisir l’enveloppe, comme à l’usine Unilever d’Asnières, en février. Les 180 licenciés ont pour la plupart opté pour l’indemnité, qui, pour ceux qui avaient le plus d’ancienneté, pouvait atteindre 54 000 euros. « C’est désespérant ! » se lamente une responsable syndicale. Et pour en faire quoi ? Bernard Hentzgen, de la CFDT, raconte que, près de chez lui, à Sarrebourg, les vendeurs de téléviseurs et de voitures se frottent les mains à chaque plan social assorti d’une grosse compensation financière… Régine Hury, 40 ans, ancienne ouvrière chez Moulinex, estime qu’elle paie chèrement cette politique de la grosse enveloppe. Son argent, elle l’a placé. Mais depuis la fin 2001, elle alterne CDD, formations courtes et intérim. Sans grand espoir d’en sortir dans une région pauvre en emplois. « A chaque fin de CDD, j’ai l’impression de tout reprendre de zéro, raconte cette mère de famille, entrée à 16 ans chez Moulinex. Les primes, c’est bien joli. Mais j’aurais préféré avoir un travail ! »
Pourtant, les faits sont là : le plan social qui fonctionne est celui qui privilégie la procédure de reclassement. Si 85 % des 750 salariés de Marks & Spencer ont pu être reclassés au bout d’un an, c’est bien sûr parce qu’ils étaient dans un secteur, la grande distribution, qui embauche, et dans une région, l’Ile-de-France, riche en emplois. Mais c’est aussi parce qu’ils ont bénéficié d’un bilan professionnel, d’une formation complémentaire, de simulations d’entretiens à l’embauche, et d’un forum d’emplois de trois jours avec 25 entreprises ! Plus que du cash, pour s’en sortir, les salariés et leurs représentants doivent exiger un vrai encadrement… Et accepter de se remettre en question en se formant. Elémentaire, monsieur le délégué ?
Le b.a.-ba du licenciement collectif
Toute entreprise de 50 salariés et plus qui licencie au moins 10 personnes pendant une période de trente jours doit négocier un plan de sauvegarde de l’emploi qui peut comprendre : aides à la création d’entreprise, aides à la réindustrialisation du bassin d’emploi, actions de formation ou de validation des acquis professionnels, etc. L’employeur peut mettre en place une cellule de reclassement, confiée à des cabinets spécialisés. En partenariat avec l’ANPE et les services publics concernés, la cellule réalise des bilans de compétence, établit avec chaque salarié volontaire un projet professionnel, l’aide à rédiger un CV, etc.