COMITE D'ENTREPRISE

«Privilégier la voie de la conciliation»

Une bonne justice, c’est une justice qui permet aux parties de s’expliquer. Les conseils de prud’hommes ont avant tout pour mission de régler les confits par voie de conciliation. Pour concilier, il faut justement que les parties soient là, qu’elles puissent échanger, défendre leurs positions respectives. Dans notre société, il n’y a pas de prohibition du licenciement. L’employeur qui veut aller jusqu’au bout d’un licenciement l’obtiendra, même si ça lui coûte cher. Dans la conjoncture actuelle, même avec l’intervention des Assedic, il faut donc qu’il y ait des garde-fous assez sérieux. Les prud’hommes remplissent ce rôle.

On reproche aux conseillers prud’homaux de ne pas être des juges «professionnels». Ce principe doit-il être remis en cause ?

Les conseillers des prud’hommes sont des professionnels du travail. Récemment, nous avons examiné une affaire où le litige portait sur les conditions dans lesquelles des équipes alternaient par séquences horaires. On était saisis d’un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel. La situation était tellement complexe qu’on ne pouvait la comprendre qu’à la lecture du jugement du conseil des prud’hommes. Manifestement, celui qui l’avait rédigé était parfaitement au fait du mécanisme en question. Et ça, c’est irremplaçable.

Les prud’hommes permettent de sortir de l’interprétation un peu trop aride et desséchante du droit pour comprendre le fond des relations et du litige. Même un juge professionnel ne peut pas connaître par coeur les plus de 2000 pages en papier bible quasi illisibles du code du travail.

En réalité, je crois qu’il faut aller au-delà de la masse des textes, de toutes les précisions qui peuvent être données. Il y a un esprit général en matière de conflit du travail, gouverné par une grande idée. L’idée que, dans la relation, il y a intrinsèquement un déséquilibre entre d’un côté l’employeur, et de l’autre le salarié. A partir de là, la jurisprudence a dégagé un principe de faveur : l’interprétation de texte doit normalement se faire plutôt en faveur du salarié.

On assiste à une multiplication des litiges…

Le simple fait que, depuis la loi de 1973, le licenciement doit avoir «une cause réelle et sérieuse», implique que pratiquement tout licenciement peut aboutir à une contestation…

Par ailleurs, la réglementation du travail est plus complexe en France que dans la plupart des pays de l’Union européenne. Et elle est complexifiée par les strates successives de législation qui se sont ajoutées l’une à l’autre. Si on prend l’exemple de la loi de modernisation sociale : elle a été promulguée au début de l’année dernière. Elle a subi une première retouche par le Conseil constitutionnel. Et est en discussion actuellement une autre réforme. Donc, sur deux ans, on a eu un état de droit avant la loi, la loi, puis encore un autre état de droit bientôt. Cela multiplie les litiges, c’est certain.

A la chambre sociale, on tourne autour de 9 000 pourvois par an en matière prud’homale, alors que les autres chambres civiles ne reçoivent que 2000 à 2500 pourvois. C’est un drame, parce qu’il faut dégager la norme à travers cette masse d’affaires.

Peut-on vraiment, aujourd’hui, se défendre seul aux prud’hommes ?

Pour des litiges simples, ce n’est pas un risque énorme de se défendre seul. Mais dès que le litige est un peu complexe, c’est un cadeau un peu empoisonné. Le juge ne peut pas d’office compléter une demande, il ne peut pas introduire dans le débat des faits qui ne sont pas invoqués. Il faut que le recours soit correctement motivé.

Heureusement, les conseillers syndicaux connaissent bien le système et aident les salariés dans leurs démarches.

La participation aux élections prud’homales est très faible (34,4 % en 1997). Faut-il abandonner le principe électif et désigner les juges ?

Désigner les juges ? Mais qui les désignerait ? Les organisations syndicales, d’un côté employeurs, d’un côté salariés. Si une telle évolution avait lieu, les prud’hommes deviendraient une affaire de spécialistes très engagés dans le mouvement syndical. Le but, au contraire, c’est d’avoir des gens qui sont dans l’exercice des métiers.

Seuls des gens plongés dans le monde du travail peuvent fournir cet éclairage irremplaçable des conditions dans lesquelles le litige est apparu.

 interview réalisée par www.liberation.fr

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