Pour 480 millions d’euros par an, la chaîne cryptée s’apprête donc (si cette préférence se transforme en décision finale) à mettre la main sur trois des sept lots les plus intéressants pour lesquels un appel d’offres avait été lancé en octobre : ils concernent des matchs en direct ou décalés de Ligue 1 (ancienne première division). Si Canal Plus voyait sa proposition retenue, la chaîne réaliserait une excellente affaire commerciale qui viendrait compléter son offre sportive : elle a signé il y a quelques mois avec la Ligue nationale de rugby un contrat d’exclusivité contre un chèque de 80 millions d’euros.
Avec les quatre autres lots de l’appel d’offres, le football français est valorisé près de 520 millions d’euros par an. Il n’en valait annuellement que 400 il y a trois ans, lors de la précédente échéance ! Cette inflation de droits (+ 30 %) a pris tout le monde de court : bon nombre d’observateurs s’attendaient à un recul des droits de retransmissions, comme dans la plupart des pays européens. En Espagne par exemple, les chaînes de télévision ont préféré mutualiser leurs investissements. Outre-Rhin, les grands acteurs du secteur, frappés par la faillite du groupe Kirch Media en raison de l’importance de ses investissements dans le sport, ont décidé de payer 300 millions d’euros à la ligue allemande de football professionnel. Elle s’attendait à 30 % de plus
En Italie, les deux bouquets satellitaires concurrents puis fusionnés, Stream et Telepiu, ont averti la ligue italienne qu’elle enregistrerait cette année un recul de ses droits. Les deux bouquets lui avaient payé 415 millions d’euros en 2001.
« Nous avons franchi en France un nouveau cap, reconnaît Ludovic Mons, directeur d’études au cabinet d’analyse économique Eurostaf, mais sans le foot, les offres de Canalsatellite et de TPS seraient moins intéressantes : les deux groupes ont donc été obligés de surenchérir. » Pour un des opérateurs, « la Ligue a structuré son appel d’offre pour éviter tout accord entre nous, elle nous a plongés dans un processus pur et dur de concurrence ».
Le foot, produit d’appel de Canalsatellite.
La situation est en fait plus préoccupante pour Canal Plus, qui a fait du football le principal produit d’appel de sa politique d’abonnement. Une politique qui fonctionne d’ailleurs parfaitement puisque 40 % de ses clients se sont abonnés pour le sport, et pour le football en particulier. Le groupe se devait donc de remporter les lots 1 et 2, c’est-à-dire les matchs décalés ou en direct de Ligue 1.
A ce niveau de prix (480 millions d’euros chaque année), certains analystes financiers se demandent déjà comment, dans un contexte de récession publicitaire, la chaîne cryptée pourra rentabiliser son investissement d’autant que sa base d’abonnés, 4,8 millions au 30 juin 2002, tend à s’éroder : soixante-dix mille clients résilieraient chaque année leur abonnement. Xavier Couture, président de Canal Plus, est prudent : ce mouvement serait à mettre sur le compte du transfert d’abonnés de l’analogique au numérique. Or certains préfèrent ou n’ont pas d’autre choix que de prendre le câble. Le recul possible de la rentabilité a eu un effet immédiat : le cours de Bourse de Vivendi Universal, la maison mère, a perdu 16 % en une semaine alors que l’indice Cac 40 s’est apprécié de 5,5 % sur la même période.
« Si Canal Plus investit plus dans le football, prévient Ludovic Mons, il faudra qu’à un moment ou à un autre le groupe réduise ses dépenses ailleurs, comme par exemple dans le cinéma. » Cette crainte est bien réelle, car la chaîne cryptée finance une partie du cinéma français. La société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP) est immédiatement montée au créneau : « L’hyperinflation des droits de football risque en France, comme l’atteste l’évolution constatée dans d’autres pays, de déstabiliser gravement le paysage audiovisuel. Plus particulièrement, elle détournera une partie des flux financiers provenant des télévisions au détriment de l’acquisition et en particulier de la création cinématographique et audiovisuelle. »
Les effets néfastes d’une dérive inflationniste.
Le CSA, qui a auditionné Frédéric Thiriez, est également intervenu : « Toute dérive inflationniste aurait des effets néfastes sur l’ensemble de la filière audiovisuelle. » Le ministère de la Culture et de la Communication s’est inquiété de l’inflation des droits de retransmission, qui correspond d’ailleurs à peu de chose près au montant que verserait chaque année Canal Plus au cinéma français. Xavier Couture s’est montré rassurant : « Je n’ai pas l’intention de revenir sur le montant de nos engagements. »
Pour assurer le paiement des droits télévisuels tout en préservant le financement du film français, Canal Plus, qui vient d’annoncer sa décision de renoncer à la Ligue des Champions, sera obligé de faire des sacrifices, notamment au niveau du holding. Les émissions en clair pourraient bien faire les frais de cette politique de réduction des coûts. Xavier Couture dit le contraire dans une interview accordée au Figaro : « Le problème posé est moins une question de financement que de savoir si nous devons réserver nos émissions de plateau à nos abonnés. » Une chose est certaine : la mise en Bourse de Canal Plus est reportée.
La joie du président de la LFP, comme celle d’ailleurs des dirigeants de Canal Plus, risque cependant d’être de courte durée : TPS, dont les actionnaires sont TF1 à 66 % et M6 à 34 %, a décidé de porter l’affaire devant le Conseil de la concurrence et à Bruxelles. « On a le sentiment que Canal Plus dirige la Ligue », a estimé Patrick Le Lay, président de TF1. Pour étayer ses dires, Patrick Le Lay affirme que les offres déposées par TPS, prises une par une, sont plus importantes que celles de Canal Plus.
La filiale de TF1 aurait ainsi proposé 260 millions d’euros pour le lot 1 contre 150 pour Canal Plus, 38 millions pour le lot 2 contre 20 millions et 113 millions d’euros pour le lot 3 contre 20 millions d’euros. Soit au total 411 millions d’euros pour TPS, contre à peine 190 pour la chaîne cryptée. « Nous sommes les mieux-disants », affirme-t-on chez TPS, en reconnaissant que l’impact de cette affaire, si elle tourne à l’avantage de Canal Plus, sera extrêmement destructeur, en termes d’image, sur la base d’abonnés existants et sur la politique de recrutement des nouveaux abonnés. « Cela fait ressortir une prime d’exclusivité de 290 millions d’euros pour Canal Plus, affirme un professionnel, or ce système d’exclusivité n’est absolument pas conforme à l’appel d’offres lancé par la LFP. » En outre, le sort du pay per view n’est toujours pas réglé.
Les prochaines réunions du conseil d’administration de la Ligue, dont celle du vendredi 22 novembre, promettent donc d’être mouvementées. Si Canal Plus et TPS n’arrivent pas à se mettre d’accord, la filiale de TF1 et M6 pourrait être purement et simplement évincée de la Ligue 1 de football. Cette hypothèse, si elle devait se confirmer, aurait très certainement des conséquences sur le secteur des médias. Par les changements de valorisations de Canalsatellite et de TPS, un serpent de mer pourrait réapparaître : la fusion des deux bouquets satellitaires.
source : www.valeursactuelles.com