tf1.fr : Grève de l’Education Nationale le 9 novembre, ultimatum des routiers le 22, journée d’action à la SNCF le 26, doit-on y voir un échauffement du climat social ?
Guy Groux * : A chaque rentrée sociale, il y a ce que l’on peut appeler des « conflits rituels » : des actions à la SNCF au moment de la renégociation des horaires, des grèves de l’Education Nationale au moment de la discussion du budget. Aujourd’hui, nous avons également des mouvements liés à des réformes, comme celle des retraites ou à des privatisations et ouvertures de capital comme pour Air France ou encore EDF-GDF. Ce sont deux cas de figures très différents.
tf1.fr : Pas de signes annonciateurs d’un nouvel hiver 95 alors ?
G.Groux : Les différentes confédérations syndicales n’ont pas du tout envie de se lancer dans
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un mouvement social de ce type. Les syndicats sont sur la défensive face à des avancées gouvernementales assez fortes, en terme de retraites ou de sécurité sociale, et font une sorte de démonstration de force avant d’entamer les négociations. Quel que soit le nombre de mouvements de grève à venir, ils sont tous marqués par des enjeux bien localisés et qui ne peuvent s’étendre comme cela a été le cas en 1995. Lorsque les électriciens et les gaziers ont récemment manifesté, des salariés d’Air France et d’autres cortèges s’étaient joint à eux mais le gros des rangs venaient d’EDF et de GDF.
Nous ne sommes plus du tout dans la même situation. En 1995, on avait le sentiment que le gouvernement Juppé voulait accélérer la libéralisation des retraites et de la sécurité sociale. Aujourd’hui, la question de la réforme du système de retraite se pose de façon plus urgente. En sept ans, les Français ont eu le temps de la réflexion et le problème ne se pose pas dans les mêmes termes selon que l’on travaille dans le privé, dans le public ou dans des entreprises publiques. Pourrait-on imaginer aujourd’hui une grande grève rassemblant salariés du privé et du public sur la question des retraites ? Non.
tf1.fr : S’agit-il alors d’un peu d’esbroufe de la part des syndicats à moins d’un mois des élections Prud’homales ?
G.Groux : En effet, il y a toujours un effet de « campagne électorale ». Surtout que les sondages sur la participation aux prochaines élections prud’homales ne sont pas bons. Il y a cinq, la participation avait été de 33%. Cette année, elle pourrait ne pas dépsser les 30%, moins d’un
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salarié sur trois. C’est catastrophique pour l’image et la légitimité des syndicats. Dans ce contexte, ils s’activent pour mobiliser les électeurs. Encore une raison pour ne pas pressentir de grand mouvement social : la campagne les oblige à se démarquer les uns des autres, excluant tout mouvement unitaire.
tf1.fr : L’hypothèse d’un embrasement social est-elle exclue pour autant ?
G.Groux : S’il doit se passer quelque chose d’important, ce ne sera pas dans un mois ou deux. Il va falloir laisser passer les élections prud’homales. En revanche, un mouvement pourrait voir le jour lorsque l’on va engager les réformes importantes : la régionalisation et son impact sur l’enseignement, les retraites bien sûr mais aussi la question d’un service minimum lors de grèves dans les entreprises publiques. Cela dépendra de la façon de négocier du gouvernement. Si cela se passe mal, nous pourrions avoir une accumulation de conflits particuliers dans le temps, ce qui, pour un gouvernement, est bien plus difficile à gérer qu’un seul grand conflit pendant quelques jours.
* Guy Groux est directeur de recherche CNRS au Cevipof. Spécialiste des conflits et mouvements sociaux, il a notamment écrit Vers un renouveau du conflit social ?, Bayard, 1998 et L’action publique négociée : approches à partir des 35 heures, l’Harmattan, 2001.