S’il doit y avoir une grande grève dans l’éducation nationale depuis le retour de la droite au gouvernement, ce sera celle-là. Les ingrédients sont réunis : un appel unitaire et vaste, sur fond d’élections professionnelles, en décembre. Les principales fédérations de l’éducation et de la recherche (FSU, UNSA, SGEN-CFDT, FERC-CGT, FAEN) encouragent leurs personnels, de la maternelle au supérieur, à mener une journée d’action commune, jeudi 17 octobre, à laquelle se sont adjoints les syndicats Force ouvrière et SUD-Education. Enseignants mais aussi surveillants, infirmières et médecins scolaires, assistantes sociales, agents administratifs ou d’entretien, emplois-jeunes et même chefs d’établissement et inspecteurs sont invités à ne pas assurer leurs fonctions pour protester contre les choix budgétaires du gouvernement Raffarin pour qui, selon les syndicats, « l’éducation n’est plus une priorité ».
Des manifestations sont prévues un peu partout en régions ; pour l’Ile-de-France, le cortège devait partir à 14 h 30, de la station RER Luxembourg, à Paris, en direction du ministère de l’éducation, rue de Grenelle. La FCPE (parents d’élèves), les représentants étudiants UNEF et FAGE ainsi que le Parti socialiste se sont associés à la démarche. Le dernier appel aussi large à manifester remonte à mars 2000, où les fortes mobilisations avaient abouti au remplacement de Claude Allègre par Jack Lang.
De son côté, l’autre grande fédération de parents d’élèves, la PEEP, refuse de soutenir la grève « préventive » de jeudi. « Alors que la lourde machine éducative a, depuis vingt ans, du mal à mettre en place un enseignement de masse et n’a pas permis de réduire les différences d’origine sociale des élèves, et ce malgré les moyens et les dispositifs mis en oeuvre, pourquoi faudrait-il s’interdire d’explorer d’autres pistes ? », notamment celle de la décentralisation, argumente la PEEP dans un communiqué diffusé le 15 octobre.
Par leur action, les cinq fédérations souhaitent peser sur les débats parlementaires le budget de l’enseignement scolaire sera discuté à l’Assemblée le 22 octobre : suppression de 5 600 postes de surveillants, extinction du dispositif emplois-jeunes (20 000 contrats d’aides-éducateurs disparaîtront dès 2003), abandon du plan pluriannuel de recrutement des enseignants pour le second degré. Les « cinq » dénoncent aussi les options retenues dans le domaine de la recherche et dans l’enseignement supérieur, où les créations d’emplois d’enseignants et d’Iatoss (agents administratifs et techniques) ne correspondent, selon l’intersyndicale du supérieur, qu’« à la moitié des engagements de l’Etat dans le cadre du plan pluriannuel 2001-2003 ».
Au-delà de ces aspects quantitatifs, les syndicats insistent sur « l’absence de dialogue social ». « Le ministère de l’éducation nationale semble dans l’incapacité totale de lier un vrai contact avec les syndicats, a dénoncé Patrick Gonthier, secrétaire général de l’UNSA-Education, lors de la conférence de presse intersyndicale présentant la journée d’action. « Nos demandes restent sans réponse. On nous dit : « Laissez-nous prendre connaissance des dossiers. » Le premier mois, d’accord. Mais, ensuite, cela devient une méthode de fonctionnement ». »
« DÉSINVOLTURE, MÉPRIS »
La gestion du dossier de la décentralisation, notamment, cristallise les critiques. « Il y a sur le terrain de vraies inquiétudes de la part des personnels techniques, qui ont l’impression d’être vendus au plus offrant », ont martelé les syndicats, qui évoquent une attitude de « désinvolture », voire de « mépris ». Au final, ils s’inquiètent du « devenir du service public d’éducation » et dénoncent « une politique qui préfère la répression à la prévention, qui néglige l’éducatif et joue le tout-sécuritaire, en diabolisant la jeunesse ».
Pour répondre à ces inquiétudes, Luc Ferry et son ministre délégué, Xavier Darcos, n’ont cessé de rappeler, lors d’auditions successives avec les principaux syndicats, mardi 15 octobre, que le dossier de la décentralisation était totalement ouvert, que « rien n’était arrêté ». Aux critiques liées à la suppression de surveillants et d’aides-éducateurs, le ministre de l’éducation oppose son projet d’« assistants d’éducation », finalisé d’ici « février ». La Rue de Grenelle doit convier les représentants syndicaux à une table ronde sur le sujet « fin octobre ». Ce nouveau personnel, pour lequel un recrutement élargi à « des mères de famille ou à de jeunes retraités » est envisagé (Le Monde du 11 octobre), remplirait une mission de surveillance et accomplirait certaines tâches dévolues aujourd’hui aux emplois-jeunes. Le ministère estime pouvoir en créer 11 000 sur les quatre derniers mois de 2003.
Enfin, face à la grogne liée au budget, l’équipe Ferry-Darcos met en avant la nécessité de rompre avec la politique du « toujours plus ». A Troyes, lundi 14 octobre, Jacques Chirac a lui-même rappelé que, s’il faut « rendre l’école à sa mission », « ce n’est pas seulement une question de moyens ».
Pour l’heure, la mobilisation s’organise pour que soient revus les choix du budget 2003. Optimistes, les syndicats annonçaient un « mouvement fort ». Le SNUipp-FSU, majoritaire parmi les enseignants du premier degré, envisageait notamment 65 % de grévistes dans les écoles.
source : www.lemonde.fr