Pour les plus pessimistes, la suppression de 280 postes (soit 60 % des effectifs en France), l’arrêt complet de Lyon house le studio interne et historique de développement, créateur de succès comme Alone in the Dark , la réduction radicale du département publishing et la réduction massive des services supports et des fonctions holding, visent à vider de sa substance Infogrames Entertainment. Ils craignent que ces quatre mesures ne fassent de l’entreprise française, leader européen du jeu vidéo, une société américaine. Pour Stéphane Valour, actuellement salarié de Lyon house et élu au comité d’entreprise, elles ont été « dictées » par les Américains de GAP, General Atlantic Partners, un fonds de placement entré au capital d’Infogrames en janvier 2002, et devenu le principal actionnaire du groupe après les fondateurs. « GAP veut une entreprise rentable. Pourquoi iraient-ils chercher en France ce qu’ils ont aux Etats-Unis ? s’interroge-t-il. Infogrames va devenir une entreprise hollywoodienne. Plus de 80 % des jeux seront faits et décidés par les Américains. »
Quel serait dans ce schéma l’avenir du patron lyonnais ? « Je le vois mal rester. Au dernier conseil d’administration, les représentants de Gap ont pointé tous les défauts de la cuirasse », poursuit Stéphane Valour. Pour la grande majorité des salariés, le départ du fondateur est « impossible ». « Bruno Bonnell est la boussole d’Infogrames. Il est brillant, créatif, mobilisateur. L’entreprise ne peut pas vivre sans lui », affirme Hubert Chardot, un ancien salarié.
Vénéré au point d’être présenté comme un « gourou », Bruno Bonnell s’est appuyé pour diriger son équipe sur un management très affectif. Il a constitué une sorte de communauté où le travail devenait un jeu, la liberté, une règle. Ses salariés le tutoient, comme aux premiers jours de l’entreprise, en juin 1983, où Bruno Bonnel et son camarade d’études Christophe Sapet décident d’investir les 50 000 francs reçus pour le livre qu’ils ont écrit « La pratique de l’ordinateur ». Ils hésitent entre monter une chaîne de pizza et fabriquer des jeux vidéo. Ce sera les jeux électroniques.
« DIX ANS DE GALÈRE »
L’aventure commence à Lyon, « dix ans de galère » selon Bruno Bonnell jusqu’à la rencontre avec Jérôme Seydoux, qui entre au capital. L’entreprise décolle et est cotée en Bourse. Les deux fondateurs se partagent le marché des nouvelles technologies, Bruno Bonnell gère Infogrames, Christophe Sapet Infonie. Le patron d’Infogrames devient l’emblème des nouvelles technologies. T-shirt imprimé, et crâne rasé, il cultive volontiers un look décalé er se veut un patron plus « social » que « libéral », opposé au « quick money ».
« On a créé notre entreprise pour durer, pas pour la revendre et se faire rapidement de l’argent », explique-t-il au moment où les jeunes pousses s’achètent à prix d’or. Proche de Gérard Collomb le nouveau maire socialiste de Lyon, il abandonne son projet de s’installer à Londres. Engagé dans une politique d’acquisitions, le patron déserte cependant de plus en plus souvent ses bureaux lyonnais. « Je vis la moitié de ma vie dans les airs », s’amuse-t-il, fréquemment. Occupé à restructurer ses sociétés américaines, il laisse en l’état ses équipes françaises. « Il n’a pas renforcé sa base qui était la France. On a laissé les meilleurs éléments partir et monter leur entreprise avant d’être obligés de les racheter, on a engagé des gens moins compétents. Bruno Bonnel doit aussi assumer ses erreurs », confie un salarié.
source : www.lemonde.fr