La vie privée est constituée d’un ensemble de faits et relations qui contribuent à définir la personnalité des individus. On recensera notamment la vie sentimentale, la maternité, l’état de santé, les pratiques et convictions religieuses, l’état civil, le domicile, etc. Ces domaines ne doivent pas faire l’objet d’une interception, a fortiori d’un contrôle, par un tiers non autorisé.
Il se dégage donc deux notions : le contenu du message et l’autorisation d’accès au message. La jurisprudence s’est déjà prononcée sur les nombreux supports de contrôle tels que les bandes vidéo, les bandes son ou encore l’emploi de détectives privés. Qu’en est-il pour les e-mail ? Il se trouve à la croisée des chemins puisqu’il constitue selon certains auteurs un courrier et qu’à ce titre il doit bénéficier de la protection de la loi n°91-646 du 10 juillet 1991 sur le secret des correspondances par voie de télécommunication. Il semble que ce parti pris soit confirmé par la jurisprudence qui considère que des messages transmis dans le cadre d’un service télématique ont un caractère privé (TGI Nice, 5ème Chambre, 28 Novembre 1991, n°5506/91). L’employeur lisant les messages électroniques intercepterait ni plus ni moins les courriers personnels de ses employés. Il se placerait alors dans une situation délicate au regard des dispositions légales du secret de la correspondance. Cette rapide conclusion n’est pas exacte et mérite d’être précisée puisqu’elle aboutirait tout simplement à priver l’employeur de son droit de contrôle. L’article 9 du code civil et la loi du 10 juillet 1991 sur le secret de la correspondance ne s’applique qu’aux messages ayant un caractère privé et secret.
L’e-mail envoyé et/ou reçu sur le lieu de travail est-il privé et secret ? S’il est privé mais que le destinataire le rend public, le droit de contrôle pourra s’exercer sans difficulté. On ne pourra reprocher à l’employeur d’utiliser un message, fut-il personnel, rendu public par l’intéressé pour vérifier le bon accomplissement du contrat de travail et le cas échéant prendre des sanctions. La difficulté surgit lorsque le message reste confidentiel et secret. Compte tenu de la technique de stockage (sur disque dur, en réseau, sur serveur dédié) du mail, peut-il être par destination un message secret ? Il semble que cette caractéristique soit le produit de la volonté de l’auteur du mail. Le courrier électronique est présumé être message secret et privé. Selon le conseil d’Etat, il semble qu’il perde ces caractères dès lors qu’il fait l’objet d’une absence de personnalisation et qu’il est diffusé en grand nombre. Le Conseil d’Etat assimile ce type d’envoi à de la publicité. On peut en déduire que l’employeur peut intercepter et lire ce genre de message électronique sans pour autant risquer de voir son salarié lui intenter un procès pour violation de la correspondance. Toutefois, en pratique cette situation ne se présentera pas facilement.
Comment savoir à l’avance ce qu’il y aura dans le courrier avant de l’avoir ouvert ? Le risque de détourner une correspondance vraiment privée n’est pas #### avec les conséquences judiciaires que l’on connaît. Le Code du travail et la jurisprudence propose plusieurs solutions pour faire cohabiter le contrôle de l’employeur et le respect de la vie privée du salarié. Le Code du travail, tout d’abord, précise en son article L. 121-8 » qu’aucune information concernant personnellement un salarié ou un candidat à l’emploi ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance du salarié ou du candidat à un emploi « . Par un raisonnement a contrario, on peut en déduire la volonté du législateur de permettre, moyennant certaines précautions, à l’employeur de collecter des informations personnelles sur le salarié. La chambre sociale de la Cour de cassation a affirmé ce principe (Cass. Soc., 22 mai 1995, cité par Valérie SÉDALLIAN, » L’utilisation d’Internet dans l’entreoprise « , La Lettre de l’Internet Juridique, janvier 1998) en considérant que » …si l’employeur a le droit de contrôler et surveiller l’activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés « .
L’employeur peut donc surveiller son salarié à condition de l’avoir préalablement averti. Dans le cas où l’entreprise dispose d’organe(s) représentatif(s) du personnel, il conviendra également d’employer ce canal afin d’être assuré de la parfaite information des salariés (pour le comité d’entreprise, l’article L. 432-2-1 du Code du travail rend son information obligatoire). Il ne faut pas en déduire pour autant que le seul respect de l’information préalable du salarié autorise l’employeur à recourir à tous les moyens. Le conflit demeure toujours entre le pouvoir de contrôle et le respect du secret de la correspondance. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà considéré que le secret de la correspondance ne s’appliquait pas aux courriers professionnels (Cass. crim., 16 Janvier 1992, cité par Valérie SEDALLIAN, Op. Cit.). D’autres décisions ont été rendues concernant les communications téléphoniques en application de l’article 226-1 du Code pénal. Néanmoins, l’application de cet article ne semble pas possible dans le domaine de l’e-mail puisqu’il vise la parole. Seul demeure le principe général du secret de la correspondance et du droit au respect de la vie privée. Il ne semble pas que la jurisprudence se soit prononcée sur l’e-mail et son contrôle par l’employeur dans le cadre du travail et le débat est encore théorique.
Il convient cependant de rappeler certaines évidences. Le courrier électronique est stocké sur un disque dur et peut souvent être consulté à l’insu de celui qui l’a reçu. En outre, le salarié utilise le matériel de l’employeur (informatique et abonnement à une messagerie) et on peut raisonnablement considérer que le salarié ne doit pas utiliser ce matériel à des fins personnelles. Partant de ce parti pris raisonnable, l’employeur qui aura préalablement informé ses salariés des conditions d’utilisation du matériel et de son intention de contrôler le contenu des mails limitera les risques de contentieux liés aux problèmes de respect de la vie privée évoqués plus haut. Il y a là un partage des responsabilités juridiques entre le salarié et l’employeur qu’il faut souhaiter. L’employeur qui n’aura pas pris le soins de se plier au respect de ces principes pourra se voir opposer par les magistrats saisis la non validité du document qu’il aura surpris lors de sa surveillance. Ce risque est déjà certain en ce qui concerne les enregistrements vidéo réalisés à l’insu des salariés (voir Cass. Soc., 20 Novembre 1991, cité par Valérie SEDALLIAN, Op. Cit.). Enfin, il faut rappeler à l’employeur qu’en cas de contrôle par utilisation de fichiers, il doit demander préalablement l’autorisation à la Commission Nationale Informatique et Liberté (CNIL) et, là encore, informer les personnes figurant dans le fichier de leur droit à l’accès et à la rectification des informations les concernant.
En conclusion, le mail dans l’entreprise n’a pas encore fait parler de lui devant les juridictions civiles ou pénales. Le droit de contrôle de l’employeur sur les mails de ses salariés reste pour l’heure assis sur un compromis entre la vie privée du salarié et les prérogatives de l’employeur. Le devoir de loyauté l’un envers l’autre doit permettre de limiter, voire de rendre impossible, toute controverse sur le contenu des messa
ges électroniques. S’il veut éviter toute atteinte à sa vie privée, le salarié veillera à conserver un caractère strictement professionnel à ses e-mail tandis que l’employeur prendra toutes les dispositions pour que son personnel soit préalablement informé de la surveillance et du contrôle possible du contenu des messageries électroniques. En attendant que la jurisprudence se détermine plus précisément sur la question lorsque le salarié ou l’employeur aura franchi la ligne rouge.