« Nous mettrons le curseur sur les priorités qui nous paraîtront les plus importantes dans les circonstances économiques de 2003 (…). Il va de soi qu’aujourd’hui, compte tenu de la situation de l’emploi, le dossier des charges sociales paraît prioritaire » : l’air de rien, comme s’il s’agissait d’une évidence, Jean-Pierre Raffarin, qui inaugurait, lundi 26 août, les nouveaux locaux de France 3-Atlantique à La Rochelle, a amorcé, en quelques mots, un retournement dans les choix de politique économique du gouvernement.
Car ce qui « va de soi » désormais pour le premier ministre n’allait pas de soi hier.
Jusqu’ici, la baisse des charges sociales constituait, certes, l’une des priorités affichées par Jacques Chirac et son gouvernement, mais ne figurait pas en tête de liste : c’est la baisse de l’impôt sur le revenu qui avait la faveur de Matignon et de l’Elysée. Le président de la République en avait fait la promesse-phare de sa campagne électorale, en s’engageant à une diminution de 15 milliards d’euros c’est-à-dire de près d’un tiers en cinq ans. Pour preuve de sa détermination, M. Chirac avait souhaité, aussitôt réélu, que les Français profitent de cette mesure dès cette année. En dépit de comptes publics dégradés et d’une conjoncture incertaine, le gouvernement a donc préparé et fait adopter durant l’été par le Parlement un collectif budgétaire prévoyant une baisse de 5 % de l’impôt sur le revenu ce qui représente 2,6 milliards d’euros.
Au terme d’une semaine de débats internes à la majorité, lancés par Pierre Méhaignerie dans Le Monde sur la poursuite en 2003 de la baisse de l’impôt sur le revenu, le premier ministre a ainsi dévoilé, lundi, l’orientation probable du budget 2003 qui sera examiné en conseil des ministres le 18 septembre. Certes, il a assuré que la baisse de l’impôt sur le revenu restait une priorité au même titre que celle de l’impôt sur les sociétés ; mais la conjoncture, et notamment le ralentissement des créations d’emplois, ne permet plus de la défendre à tout prix.
SCEPTICISME AFFICHÉ
M. Raffarin, qui affichait encore, le 11 août, dans une tribune publiée par Sud-Ouest, son « optimisme » sur la croissance, ne cache plus désormais son scepticisme. « Je crois que nous sommes dans la capacité de retrouver un rythme de 3 % [de croissance] », a-t-il estimé, lundi à La Rochelle, en ajoutant : « Est-ce qu’on pourra avoir ce rythme de 3 % sur l’année 2003 ? C’est une autre affaire [que] nous allons expertiser dans les jours qui viennent. » Le premier ministre doit, de fait, consulter les experts du ministère des finances dans les jours à venir.
Or, c’est justement sur une prévision de 3 % de croissance que le gouvernement a calé, au début de l’été, l’évolution des dépenses de l’Etat pour 2003 préfigurant l’élaboration à partir de la même hypothèse du budget 2003. Mais la majorité des économistes tablent à présent sur une croissance inférieure à 2,5 % l’an prochain, et le gouvernement semble souscrire à cette estimation. Dès lors, le budget doit nécessairement changer de visage : d’abord parce que les recettes fiscales seront insuffisantes ; ensuite et surtout parce que l’économie pourrait avoir besoin d’être soutenue, le « rebond » se faisant encore attendre.
Sans rancune à l’égard de M. Méhaignerie, M. Raffarin a jugé sa « contribution » au débat « positive », avec cette précision : « Nous sommes en grande compréhension ensemble. » Le président (UMP-UDF) de la commission des finances de l’Assemblée nationale avait estimé que l’hypothèse de 3 % de croissance pour 2003 était « un peu excessive », déclarant sans ambages : « La baisse de l’impôt sur le revenu peut bien attendre 2004 ou 2005. » M. Méhaignerie engageait aussi le gouvernement à faire « un pas vers la sincérité budgétaire ». Ces propos avaient ouvert une controverse au sein de la droite sur la manière dont les faibles marges de manoeuvre budgétaires attendues devaient être utilisées en 2003.
Si l’Etat n’a pas les moyens de financer toutes les promesses de M. Chirac, faut-il plutôt alléger les charges ou poursuivre la baisse de l’impôt sur le revenu ? M. Méhaignerie, lui, a encouragé le premier ministre à « concentrer ses efforts sur le pouvoir d’achat des bas salaires » donc à alléger les charges pour augmenter le salaire net , arguant que « ce gouvernement a besoin du soutien des classes populaires pour pouvoir faire les réformes nécessaires, notamment celle de l’Etat ». Nombre de parlementaires de la majorité, comme Jean Arthuis, le président (UC) de la commission des finances du Sénat, l’ont approuvé. Plus rares ont été les partisans dont Edouard Balladur d’une poursuite de la baisse de l’impôt sur le revenu.
M. Raffarin a répondu, lundi, en ces termes : « Il va de soi que nous tiendrons compte de l’avis de tous les experts et donc, nous ferons à la fois quelque chose de sincère et de dynamique. » Le premier ministre pourrait construire un budget dans lequel plusieurs scénarios de croissance seraient envisagés. Dans ce contexte, l’ampleur de « l’intervention » qu’il promet quand même sur l’impôt sur le revenu ou sur l’impôt sur les sociétés varierait. De symbolique en cas de conjoncture molle, elle pourrait devenir plus significative en cas de rebond de l’économie.
COMPENSER LE COÛT DU TRAVAIL
Quoi qu’il en soit, la baisse des charges, elle, sera effective. François Fillon, le ministre (UMP-RPR) des affaires sociales, doit aborder ce sujet avec les organisations syndicales et patronales, qu’il a commencé à recevoir mardi 27 août. M. Fillon compte alléger les charges patronales pour compenser la hausse du coût du travail pour les entreprises, qui découlera de l’harmonisation des smics. Les allégements de charges patronales, qui représentent aujourd’hui 15,6 milliards d’euros, seraient ainsi portés, à terme, à 19 milliards d’euros. La question est de savoir si le gouvernement souhaitera aller plus loin.
En liant ouvertement le choix de sa politique économique aux évolutions de la conjoncture, M. Raffarin affiche un revirement certain. Dans son discours de politique générale, prononcé à l’Assemblée le 3 juillet, le premier ministre avait passé sous silence l’extrait de son texte qui indiquait que le rythme des baisses d’impôts dépendrait à l’avenir « de la vigueur de la croissance économique ». Le 14 juillet, M. Chirac avait affirmé, lui, que la baisse des impôts serait « plus ou moins liée à la croissance, mais plutôt moins que plus ».
source : www.lemonde.fr