L’entretien que nous publions ci-dessous a été relu et amendé par M. Méhaignerie.
Rares sont les économistes qui prévoient encore une croissance de 3 % en 2003 ; or c’est sur ce chiffre que le gouvernement a calé l’évolution de ses dépenses. Serait-il raisonnable de maintenir l’hypothèse des 3 % pour élaborer le projet de loi de finances pour 2003 qui doit être présenté en conseil des ministres le 18 septembre ?
Les éléments d’incertitude sont aujourd’hui dominants.
Construire le budget 2003 sur une croissance de 3 % me paraît un peu excessif. Le gouvernement a intérêt à utiliser les trois semaines qui lui restent avant le conseil des ministres pour trouver un équilibre entre un optimisme volontariste raisonnable et la sincérité budgétaire.
Vous partagez donc le pessimisme des experts ?
Je pense qu’ils ont raison, même s’il faut être prudent s’agissant de prévisions économiques. C’est en tout cas ce que je ressens au niveau microéconomique, dans ma circonscription.
Il y a un an, la droite avait contesté la sincérité du projet de budget 2002 de Lionel Jospin, qu’elle jugeait « irréaliste ». M. Raffarin ne risque-t-il pas les mêmes critiques ?
Je sais bien ce qui risque de nous arriver dans le débat budgétaire de cette année. On pourrait en effet nous renvoyer la balle de 2002… Ceci étant dit, pour le budget 2002, la croissance était surestimée, mais il n’y avait pas que cela : les recettes de l’Etat étaient volontairement surévaluées et les dépenses volontairement sous-évaluées, comme l’audit des finances publiques [remis au premier ministre le 26 juin] l’a mis en évidence.
Cette année, nous ne risquons pas d’avoir des recettes et des dépenses mensongères. Mais il reste un pas à faire vers la sincérité budgétaire. Si le gouvernement ne le faisait pas, ce serait une faute vénielle, pas une faute mortelle comme l’an dernier.
Est-ce à dire que vous conseillez au gouvernement de renoncer à l’hypothèse d’une croissance à 3 % en 2003 ?
Il vaut mieux faire un geste pour ne pas être accusé d’insincérité. Moi, je préférerais une fourchette de croissance de 2,6 % à 3 %, avec une hypothèse centrale de 2,8 %. Mais il est encore trop tôt pour le dire.
Les économistes estiment que la reprise ne sera pas au rendez-vous tant que les entreprises ne se remettront pas à investir. Faut-il faire quelque chose pour les y encourager ?
Nous avons peu de marges de manoeuvre budgétaires. Et quand les entreprises n’ont pas soif, elles n’ont pas soif. En revanche, je pense qu’elles ont besoin de reprendre confiance en l’avenir de l’investissement dans notre pays. Ce qui passe nécessairement par la réforme des 35 heures, par la remise en question de la loi de modernisation sociale, qui durcit les conditions de licenciement, et par l’adoption de certaines des mesures qu’avait préconisées le député socialiste Michel Charzat pour renforcer l’attractivité de la France, dans le rapport hélas resté lettre morte qu’il a remis à M. Jospin l’été dernier.
Dans ce rapport, M. Charzat ouvrait également des pistes pour une réforme de l’impôt sur la fortune (ISF)…
Il avait raison. Je pense qu’il faut absolument déplafonner le plafonnement de l’ISF [cet impôt sur le capital ne doit pas dépasser les revenus du contribuable ; mais au-delà d’un certain seuil, cette limitation disparaît].Le « plafonnement du plafonnement » a des conséquences très négatives. Je ne veux pas voir les capitaux et les hommes continuer à partir à l’étranger comme cela se fait depuis quelques années.
Quelle que soit l’hypothèse de croissance retenue pour le budget 2003, il semble qu’il sera difficile à boucler. La baisse de l’impôt sur le revenu, promise par Jacques Chirac, vous paraît-elle devoir être poursuivie en 2003 ?
Il faut concentrer les efforts sur le pouvoir d’achat des bas salaires. C’est là qu’est le moteur de la consommation, et donc de la croissance. Par ailleurs, cela répond à une exigence de justice. Et ce gouvernement a besoin du soutien populaire pour pouvoir faire les réformes nécessaires, notamment celle de l’Etat. Jouons donc en 2003 sur les petits salaires. M. Fillon [le ministre des affaires sociales] y travaille d’ailleurs. La baisse de l’impôt sur le revenu peut bien attendre 2004 ou 2005.
Vous évoquez la réforme de l’Etat. Le gouvernement doit-il donner un signal dès 2003, notamment en ne remplaçant pas tous les fonctionnaires partant à la retraite ?
Oui, il faut un signal dès 2003, dans certains ministères en tout cas, où les marges de productivité ne sont clairement pas mises en oeuvre. Il y a un fossé accru entre le secteur protégé et le secteur privé qui n’est pas sain. Il faudrait aussi mettre en place une commission, sur le modèle de la commission Rueff-Armand en 1958, qui proposerait des mesures de simplification des structures administratives. Ces propositions pourraient inspirer le budget de 2004.
Pensez-vous que les Français soient prêts à accepter une telle réforme ?
Oui, si on leur montre la relation entre le niveau des dépenses publiques et le niveau de leurs revenus. Il faut réévaluer le salaire net en France en maîtrisant les dépenses publiques. Il y a une pédagogie à entamer sur le thème : grosse dépense publique égale petits salaires.
Propos recueillis par Virginie Malingre pour www.lemonde.fr