Il y a deux Jean-Jacques Aillagon. Un Dr Culture plutôt apprécié du milieu, même à gauche, et un Mister Communication qui, depuis qu’il a pris la tête du ministère en mai, donne des sueurs froides à quelques-uns du côté de France Télévisions. La proposition de hausse de la redevance, si elle se concrétise à la rentrée, suffira-t-elle à réconcilier le ministre avec Marc Tessier, président de France Télévisions ? Rien n’est moins sûr, car Aillagon donne d’une main ce qu’il prend de l’autre, et si l’augmentation de la redevance caresse le service public dans le sens du poil, depuis son arrivée à la Culture et à la Communication, le ministre n’a cessé de tirer à boulets rouges sur France Télévisions.
Dotation. Première salve au lendemain de sa nomination : sur France Info, il déclare qu’il est urgent de «se donner le temps de réfléchir» au développement de la télévision numérique terrestre (TNT) en France. Dossier audiovisuel phare du précédent gouvernement, la TNT doit permettre au téléspectateur de recevoir 33 chaînes, contre 6 aujourd’hui, sans changer d’antenne mais en achetant un décodeur à 150 euros.
La version socialiste de la TNT s’appuyait sur un service public fort qui devait développer trois nouvelles chaînes : une chaîne Régions (en fait huit mini France 3 régionales), une de rediffusion des meilleurs programmes de France Télévisions et une chaîne info. Pour ce faire, une dotation spéciale de 152,4 millions d’euros avait été décidée, dont un tiers doit être versé en 2002, mais dont personne n’a encore vu la couleur… Commentaire laconique d’Aillagon en juillet, à propos de cette dotation : «C’est beaucoup d’argent.» Et justement le ministère «manque d’argent», ajoutait-il, sibyllin.
La solution? Supprimer quelques-unes des futures chaînes de France Télévisions. Dans le collimateur, la chaîne de rediffusion et la chaîne info, qui pourrait être remplacée par «la CNN à la française» que Chirac appelle de ses voeux. Raffarin arbitrera en octobre prochain mais tout semble déjà joué.
Critiques. Deuxième salve contre le service public : une semaine après sa prise de fonction, Aillagon s’en prend, dans un entretien au Monde, aux programmes de France Télévisions. Il regrette «l’abandon de certaines des missions du service public télévisé», notamment culturelles. Allant même jusqu’à estimer que la télé publique, «loin de produire une couleur et un son différents de ceux des chaînes privées – comme le font les radios publiques -, tente de se rapprocher de ses concurrents privés, y compris dans une approche événementielle et anecdotique de l’information». Aussi sec, il confie à Catherine Clément (philosophe, romancière et soeur de Jérôme Clément, président d’Arte France…) une mission destinée à évaluer l’offre de programmes du service public. Sa conclusion ? «On la connaît déjà, s’amuse un proche du dossier, pas assez de culture. Le problème, c’est que si on en ajoute sur France 2 et France 3, on aura quatre chaînes culturelles dans le service public ! Le gouvernement aura alors beau jeu d’en privatiser une…»
Machiavélique Aillagon? Fin mai, en comité d’entreprise, Michèle Cotta, alors directrice générale de France 2, faisait une autre analyse : «Il ne connaît pas du tout les dossiers de la télévision.» N’empêche, il s’en mêle. Au point de se targuer, début juillet à l’Assemblée nationale, des «quelques infléchissements» qu’il a suggérés pour les émissions de France Télévisions à la rentrée. Un ministre intervenant directement sur les programmes des chaînes publiques ? Du jamais vu depuis Peyrefitte.
source : www.liberation.fr