Le temps presse. L’opérateur, filiale du groupe international de négoce Louis-Dreyfus, a racheté, en pleine crise des télécoms et en l’espace de quelques mois, une bonne demi-douzaine de sociétés toutes jeunes et en quasi-faillite, et il a fait exploser ses effectifs : il employait 450 personnes à la veille de ses emplettes, il en revendique autour de 2 400 aujourd’hui.
«Jeunes et cadres». Autre trait commun de ces sociétés, LDCom compris, le syndicalisme vient tout juste d’y pénétrer. Chez LDCom, les premières élections sous bannière syndicale remontent à janvier. Bruno Tiepolo, aujourd’hui délégué syndical CFDT, raconte comment la direction est venue le voir à son poste de travail, en 1999, alors qu’il n’était qu’un simple salarié, pour l’inviter à se présenter comme DP : «Du jour au lendemain, et sans vraiment comprendre, je me suis retrouvé élu.» Même désert syndical chez l’opérateur 9 Télécom à ses débuts : un seul poste pourvu sur dix à pourvoir lors des élections de délégué du personnel, il y a deux ans, se souvient un élu.
Rien à voir avec une éventuelle traque du syndicalisme : il n’y avait pas de candidat. «Nous sommes des entreprises neuves, avec des embauchés jeunes et cadres», autrement dit à qui le syndicalisme n’évoque pas grand-chose, quand il ne les rebute pas. «Des jeunes qui se défoncent la journée, sortent en boîte le soir, ne lisent pas de quotidien et qui ne savent pas ce qu’est une prise de position collective», résume, au risque de la caricature, une fraîche élue syndicaliste.
Pendant les quelques années fastes de l’ouverture à la concurrence, les instances élues n’avaient de toute façon pas grand-chose à se mettre sous la dent. «Le principal sujet de discussion au CE, c’était la propreté des petites cuillères à la cantine», brocarde Bruno Tiepolo. Mais, aujourd’hui, le climat a radicalement changé. Et le syndicat a son rôle à jouer : «les gens savent qu’il y a peu de travail dehors et qu’ils devront de toute façon rabattre au moins 25 % sur leurs salaires», constate Michel Clerjeonnie, délégué syndical chez Kaptech.
L’an passé, les jeunes salariés des start-up avaient découvert l’intérêt du syndicalisme et du code du travail quand leurs entreprises s’étaient effondrées. Au temps de la croissance, beaucoup de jeunes start-uppers se moquaient du «syndicalisme à la Krasucki» et louaient la souplesse et le nouveau mode de management direct de leurs directions. Mais quand la crise est là, on fait appel aux bonnes vieilles centrales syndicales pour lutter contre les licenciements abusifs ou le harcèlement moral. Ainsi, chez Freesbee. com, alors fournisseur d’accès, la menace d’un dépôt de bilan et le rachat de l’entreprise par un autre fournisseur d’accès plus gros ont poussé les salariés à demander l’aide de la CFDT pour arracher un plan social en avril 2001.
Formation. Dans le secteur des télécoms, le phénomène est assez ressemblant. La CFDT s’adapte aux nouvelles recrues. Tel élu de Belgacom relève ainsi, avec satisfaction, qu’il peut être élu sous la bannière du syndicat sans être obligé d’adhérer. Les nouveaux élus du personnel représentent principalement des cols blancs. Chez LDCom, par exemple, rapporte un élu stagiaire, 70 % du personnel est cadre et les plus bas salaires sont au moins égaux à deux fois le Smic. Sur la quinzaine de stagiaires réunis au siège de la CFDT, début juillet, il n’y avait que quatre employés.
Depuis deux, trois ans, la centrale de François Chérèque ne ménage pas ses efforts pour investir le secteur tout neuf des télécommunications, où les firmes ont poussé comme des champignons. «Nous menons une politique volontaire, explique Nicole Baudry, responsable du secteur télécoms à la fédération. Nous avons constitué un pool de quelques personnes et nous faisons de la veille.» Et même du démarchage auprès des directions.
Quand le syndicat juge qu’une entreprise est en âge d’être investie, il prend contact avec la direction et propose ses services pour organiser des élections de délégués du personnel ou de comité d’entreprise. Souvent, les hiérarchies acceptent, simplement parce qu’elles ne savent pas comment faire pour se mettre en conformité avec le code du travail. LDCom, semble-t-il, ne voit pas non plus d’un mauvais oeil cette structuration de la représentation. La tâche à accomplir pour intégrer la demi-douzaine de sociétés avalées est immense. Il s’agit aussi d’essayer de construire une culture commune. Dans son registre, le syndicalisme y participe.
source: www.liberation.fr