Tous les mercredis soir, depuis trois mois, Marie-Noëlle, Gilles et Véronique retournent à l’école, dans les locaux du lycée Jean- Moulin à Saint-Amand-Montrond (Cher).
Salariés de la fonderie Formes et Surfaces, ils suivent en dehors de leur temps de travail une formation « informatique et culture générale » dispensée par le groupement d’établissements pour la formation continue (Greta). Avec une douzaine de leurs collègues, ils sont volontaires pour s’initier deux heures par semaine au maniement de logiciels comme Word ou Excel, et en profitent pour réviser le calcul des pourcentages, les conjugaisons ou les règles grammaticales de base.
« Mon regret, c’est d’avoir quitté l’école trop tôt, dit Marie-Noëlle, 39 ans, employée au contrôle et à l’assemblage. Quand on m’a proposé de suivre ces cours, je n’ai pas hésité une seconde. » Pour la plupart, c’est la première fois de leur vie de salarié qu’ils accèdent à une formation. L’initiative, rare dans une PME au profit d’ouvriers non qualifiés, en revient au directeur de Formes et Surfaces, Stéphane Fremiot, qui a repris l’entreprise, en dépôt de bilan, il y a un an et demi.
Son objectif n’a rien de philanthropique. Il veut faire évoluer ses salariés vers de nouveaux matériels, mais dispose d’une main-d’oeuvre aux savoirs de base lacunaires. « Comment voulez-vous mettre en oeuvre une procédure de certification, qui exige un gros travail de rédaction, lorsque les gens ne peuvent pas aligner trois mots sans faire de faute ? Ils préfèrent ne pas jouer le jeu pour ne pas montrer leurs carences », explique-t-il. Il a vite compris qu’il lui fallait contourner le problème. « Plutôt que de dire « vous avez des difficultés », on a préféré que celles-ci se révèlent par le biais d’une formation informatique, en proposant en complément deux modules, en français et mathématiques. Pour eux, c’est plus valorisant. »
Stéphane Fremiot ne veut pas parler d’illettrisme, mais de « culture générale ». C’est tout de même cette réalité qui transparaît dans les discussions au sein du groupement d’employeurs dont il fait partie. « Des patrons nous disent : « J’ai un ouvrier de valeur, je voudrais le passer chef d’équipe, mais c’est impossible car il est incapable de rédiger » », observe Jean-Pierre Amiot, responsable de ce groupement. Pourtant, le phénomène reste encore tabou chez de nombreux chefs d’entreprise, qui ne voient pas pourquoi ils se substitueraient à l’éducation nationale. Il est aussi difficile à cerner du côté des salariés, qui utilisent des stratégies d’évitement. « Sur un chantier classique, ils vont par exemple savoir à l’oeil combien il faut de rouleaux de papier peint pour une pièce, sans avoir à en calculer le périmètre », relève Didier Ami, directeur adjoint à la direction départementale du travail du Cher.
Pour éviter que ces salariés, malgré leur savoir-faire, restent les exclus de la formation, les pouvoirs publics ont décidé de reprendre l’initiative de Formes et Surfaces. La direction du travail et de l’emploi et l’Agefos-PME, organisme de collecte de fonds pour la formation, vont sensibiliser les employeurs du Saint-Amandois et tenter d’identifier les salariés susceptibles de suivre une remise à niveau par le biais d’une formation informatique. Entre le Fonds social européen, l’Etat, le conseil régional ou les organismes de formation, ce ne sont pas les crédits qui manquent. Mais, comme le souligne Didier Ami, l’impulsion ne peut venir que des entreprises. Dans ce bassin d’emploi peu attirant, où les jeunes sont rares, il en va peut-être de la survie de l’industrie locale.
source : www;lemonde.fr