Jean-Pierre Raffarin vient de faire une découverte : la «France d’en bas» a mal au portefeuille. Le Premier ministre se soucie dorénavant des «ménages fragiles». Jusqu’à présent, il s’était surtout préoccupé des «ménages aisés», en leur accordant une baisse de 5 % de l’impôt sur le revenu. Preuve supplémentaire que les pauvres le souciaient moins, le chef du gouvernement est même allé jusqu’à refuser de leur accORDER un coup de pouce du Smic. Il semble faire machine arrière. Jean-Pierre Raffarin s’interroge sur une revalorisation du pouvoir d’achat des familles les plus modestes. Selon Jacques Barrot, président du groupe UMP, le principe est acquis : «Le Premier ministre a bien l’intention de le faire à l’automne.» Mais il cherche encore le mécanisme pour y parvenir. Dans l’entourage de Jean-Pierre Raffarin, on assure vouloir «agir sans le poids d’un dogme, avec pragmatisme. Pour le moment, on est à l’écoute des différentes propositions».
Faire passer la pilule. Pierre Méhaignerie a son idée sur le sujet. Le président UMP de la commission des finan ces de l’Assemblée souhaite «une réhabilitation du travail. Pour cela, une baisse de l’impôt sur le revenu était nécessaire. Il faut maintenant envisager une amélioration du salaire direct, en baissant les charges sociales salariales». Pour le député d’Ille-et-Vilaine auteur d’une proposition de loi sur le sujet vieille de deux ans , c’est «une question de justice» mais aussi «un enjeu électoral». Car, selon lui, «on ne pourra mener de réformes sans soutien populaire». En d’autres termes : mieux vaut soigner les catégories populaires main tenant si on veut leur faire passer la pilule d’une réforme des retrai tes .
C’est précisément l’avis de Daniel Garrigue. Le député UMP de Dordogne a alerté François Fillon, ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité. Il lui a notamment fait savoir que «les Français qui sont au bas de l’échelle des salaires ne comprennent pas le peu de différence entre leur situation et celle des assistés. Le gouvernement doit rétablir un écart entre les gens qui ont repris le travail et ceux qui ne l’ont pas fait. C’est l’effort qu’il faut valoriser, pas l’assistanat». Dominique Paillé en est persuadé. «Dans ma circonscription des Deux-Sèvres, seuls 35 % des habitants sont imposables, précise le député UMP. Je suis un peu inquiet que le gouvernement n’ait rien prévu, pour l’instant, en ce qui concerne les bas salaires.» Dans une tribune publiée dans Libération le 22 juillet, l’ancien centriste prévenait : «Ne laissons pas se développer l’idée que nouvelle majorité pourrait rimer avec nouvelle iniquité.» Cette «idée» pourrait d’autant plus «se développer» que «les ménages fragiles» viennent d’être pénalisés par des hausses successives de «produits de première nécessité», comme les nomme Paillé. A savoir : le téléphone, le gaz, l’électricité, les transports et l’essence (lire ci-contre).
Jacques Barrot, lui-même, a relayé la charge de sa base. Il s’en était épanché auprès du Premier ministre, il y a tout juste une semaine, lors du petit-déjeuner hebdomadaire des chefs de file de la majorité à Matignon. Hier matin, il en a remis une couche sur RTL. En parfait centriste, il a coupé la poire en deux, refusant de choisir entre baisse de l’impôt et celle des charges sociales. «Le travail, c’est celui du cadre qui ne doit pas payer plus de 50 % du revenu de son travail pour l’impôt, mais c’est aussi celui qui est au Smic et pour lequel les char ges sont trop lourdes car elles ne permettent pas à l’entreprise de servir des salaires net plus élevés», estime l’ancien ministre des Affaires sociales et de l’Emploi. Joint par Libération, il reconnaît qu’une baisse des charges sociales salariales est «difficile à mettre en oeuvre». En conséquence, Jacques Barrot appelle de ses voeux «un deal» entre le gouvernement et le Medef : «D’un côté, le gouvernement se dit prêt à baisser les charges patronales. De l’autre, les entreprises s’engagent à revaloriser les bas salaires.»
OEillades. Quel que soit le moyen, cet effort en direction des plus modestes aurait, selon les stratèges de l’UMP, un tri ple avantage. Premièrement : couper l’herbe sous le pied de leurs partenaires de l’UDF. «Ce n’est pas mon premier objectif», confie Pierre Méhaignerie ; manière implicite de reconnaître que c’est bien l’un de ses desseins : ce n’est pas un hasard si, au sein de la nouvelle formation chiraquienne, ce sont d’ex-amis de François Bayrou, comme Jacques Barrot, Pierre Méhaignerie ou Dominique Paillé, qui ont le souci du social. «Ils veulent, au mieux, nous phagocyter, au pire, nous tuer», s’inquiète l’un des 29 députés demeurés fidèles à la maison mère centriste.
Deuxième objectif des oeilla des gouvernementales aux «ménages fragiles» : empêcher le PS de renouer le contact avec des catégories populaires qui l’ont abandonné lors des dernières élections; et, par là même, de reprendre langue avec le mouvement social. Hier, le député PS de l’Isère, Didier Migaud, a essayé de mettre le feu aux poudres. L’ex-rapporteur du budget a dénoncé un gouvernement qui «reprend d’un côté ce qu’il a donné de l’autre». Selon ses calculs, les «hausses» des services publics ont «un coût équivalent» à la somme accordée aux person nes imposables à travers la baisse de 5 % de l’impôt sur le revenu.
Enfin, troisième objectif : faire taire les impatiences catégorielles. Et éviter un automne social trop agité. Car Jean-Pierre Raffarin craint le syndrome Juppé. Fin 1995, l’ex-Premier ministre avait mis les Français à pied. Notamment les «ménages fragiles».
source : www.liberation.fr