«Je suis parti en vacances la semaine après l’entretien, explique-t-il. Alors que j’étais sur les skis, j’ai appris que c’était fini. Pas de préavis à faire, j’étais dispensé de retourner au bureau le lundi.» Un licenciement «à l’américaine», dit-il. Officiellement, Philippe a commis une faute : il aurait négocié une baisse de tarif avec un client, portant préjudice à la petite entreprise dans laquelle il travaillait. Depuis son départ, sa mission a été reprise par deux de ses assistantes mais sans son salaire ni son statut. «Il voulait supprimer mon poste», dit-il. Choqué par la méthode, il a décidé d’attaquer aux prud’hommes. «Heureusement, j’étais sur la piste d’un nouveau travail. Un tel comportement basé sur le mensonge et la calomnie vous casse un bonhomme. Ils ont conscience des conséquences de leur attitude, ils savent que c’est efficace.»
Alors que ces dernières années, les licenciements collectifs ont diminué assez fortement grâce à la reprise économique, les licenciements individuels sont, eux, restés toujours aussi haut, enregistrant même une progression en 1999-2000. L’attention du public, des politiques et des médias se focalise sur les licenciements collectifs, toujours spectaculaires quand ils touchent quelques milliers de personnes, mais les licenciements individuels font chaque année deux fois plus de victimes. En 2001, 240 000 demandeurs d’emplois ont déclaré à l’ANPE être licenciés collectivement pour des raisons économiques, plus de 460 000 être licenciés individuellement (1). Le motif peut être économique ou relever d’une incompétence ou d’une faute. Mais parfois, la remise en cause personnelle sert à masquer des licenciements collectifs. En se séparant un à un de leurs salariés, les entreprises évitent l’ouverture d’un plan social (lire ci-contre). «Avec le plan social, remarque un avocat, les directions sont obligées de se justifier, expliquer leur gestion, ce qu’elles n’aiment pas faire.» Et plus la législation sur le licenciement collectif est contraignante, plus les entreprises cherchent à la contourner. Réaction paradoxale, certains syndicats ou avocats défendant les salariés sont presque soulagés que le Conseil constitutionnel ait retoqué en début d’année le projet du gouvernement de durcir les licenciements économiques. Alors que l’actualité sociale avait égrené une série de «licenciements boursiers» comme chez Marks & Spencer ou Danone en 2001, les députés ont voté le 20 décembre une définition plus restrictive des licenciements économiques dans le cadre de la loi de modernisation sociale. La tentative a échoué, le Conseil constitutionnel jugeant cette nouvelle définition contraire à la Constitution. «Dès qu’il y a un durcissement des textes sur les licenciements collectifs, on observe une remontée des licenciements individuels, dit un syndicaliste de la CFDT. C’est l’effet pervers d’une bonne intention.» Car mieux vaut être mis à la porte à plusieurs, que seul dans son coin. «La négociation d’un plan social peut éviter certains licenciements, on peut obtenir des reclassements, explique Roger Koskas, avocat au cabinet Grumbach et Associés. Les indemnités de licenciement sont en général majorées. Autant d’aspects qui n’existent pas dans le licenciement individuel.»
Mais surtout, le licenciement isolé est un coup psychologique fort porté au salarié. A l’image du monde du travail où le collectif s’efface au nom de règles individuelles, le salarié se retrouve seul face à son licenciement. Sonné par la rapidité de la procédure, il connaît mal ou pas le droit du travail. «Des gens licenciés viennent nous voir tous les jours, explique Diven Casarini, secrétaire générale d’une section CGT dans le centre de Paris. Comme au lycée, certains employeurs font croire à leurs salariés qu’au bout de trois avertissements, il y a automatiquement un licenciement, que ce n’est pas la peine d’aller devant le juge, il n’y a plus de droits, plus d’Assedic.» Isolé dans son ignorance, le salarié en est que plus vulnérable. Pour reconstruire des ego en miettes, des associations épaulent les licenciés, travaillent plus particulièrement sur les ressorts psychologiques (lire page III). Quand les licenciements sont contestés, les syndicats ou avocats aident à monter des dossiers aux prud’hommes. 50 % de l’activité prud’homale en France est consacrée à ce type de dossiers. Mais la justice ne répare pas tout. Si le salarié peut toucher des indemnités supplémentaires, jamais il n’est réintégré (2).
(1) Données à prendre avec prudence : tous les demandeurs d’emploi ne remplissent pas le questionnaire, et les réponses sont basées sur la bonne foi.
(2) Sauf cas vraiment exceptionnels.
source : www.liberation.fr